Les sûretés résistantes à la procédure collective

en droit français

par Arthur BERTIN, doctorant en droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

 

Le terme central de cet intitulé est bien sûr le verbe « résister ». La résistance d’une sûreté face à la procédure collective indique une réaction à l’encontre d’une tension. Cette tension, nous la connaissons, a été présentée précédemment par Messieurs Eric Simon-Michel et Samuel François. Il s’agit d’une altération du droit des contrats en général, lequel est subordonné à l’impératif de sauvegarde économique de la société en procédure collective comme à la nécessité d’imprimer une discipline collective au sein des créanciers dans le cadre des répartitions de l’actif du débiteur[1].

Au cas particulier des sûretés grevant le patrimoine du débiteur, cette tension se traduit de manière schématique par une paralysie des droits des créanciers titulaires de sûretés réelles. Les sûretés réelles, telles que le gage, le nantissement, l’hypothèque ou encore l’antichrèse, grèvent les actifs mobiliers ou immobiliers du débiteur d’un droit de préférence et d’un droit de suite. En cas de défaut de paiement de l’obligation garantie par le débiteur, le créancier peut saisir et faire vendre le bien objet de la sûreté et percevoir une quote-part du prix de vente pour un montant équivalent à sa créance garantie[2]. Néanmoins, l’efficacité de ces mécanismes est théorique. En pratique, la concurrence des créanciers venant en rang préférable sur les biens grevés de sûretés réelles comme les principes d’interdiction des paiements de créances nées antérieurement au jugement d'ouverture  (ou postérieurement mais non privilégiées) par le débiteur (C. com., Art. L.622-7) ainsi que l’interdiction des poursuites tendant au paiement d’une somme d’argent à l’encontre de ce même débiteur (C. com., Art. L.622-21) affectent profondément l’efficacité des sûretés réelles dès l’ouverture d’une procédure collective du Livre VI du Code de commerce[3]. Pire, non seulement les sûretés réelles reposant sur le droit de préférence ne peuvent qu’être limitativement exercées à l’encontre du débiteur en procédure collective mais au surplus, elles ne sont d’aucun secours face aux réductions forcées de créances décidées par la majorité des créanciers réunis en comité (comité des établissements de crédits et assimilés, comités des fournisseurs et assemblée des obligataires) si le créancier titulaire de la sûreté préférence appartient lui-même à l’un de ces comités (C. com., Art. L. 626‑30‑2). Bref, le tableau des rapports entre sûretés réelles et procédures collectives – examiné à l’aune des créanciers titulaires de sûretés réelles conventionnelles – peut sembler sombre[4]. À tel point que la notion de « sûretés qui résistent à la procédure collective » semble incongrue.

Pourtant, la réalité de notre droit des sûretés et de son efficacité dans la procédure collective est plus nuancée. S’en tenir à un constat de subordination des droits des créanciers serait réducteur. Pour renverser ce constat, il faut souligner les apports des réformes du droit des sûretés et des procédures collectives, qui se succèdent depuis la loi de Sauvegarde du 26 juillet 2005. Ces dernières ont permis de restaurer les droits des créanciers, par le biais du renforcement ou de l’introduction de certaines sûretés réelles conventionnelles reposant sur une sur une technique d’affectation distincte des sûretés réelles dites « préférence », articulées sur le droit de préférence et le droit de suite. Cependant ce renouveau du droit des sûretés réelles conventionnelles ne doit pas ici occulter l’existence antérieure de sûretés réelles spéciales, reposant elles aussi sur une technique d’affectation distincte des sûretés réelles « préférence ». Elles sont d’ailleurs introduites de longue date en droit français et ont démontré leur résistance à la procédure collective. Ainsi la vision d’un droit des sûretés trop faible (qui doit être combattue) est prise en étau au sein d’un double mouvement : l’existence de sûretés conventionnelles spéciales traditionnellement résistantes face à la procédure collective doublée de la mise en place d’un régime général de sûretés nouvelles dont l’efficacité face à la procédure collective a été sciemment voulue.          
La présentation de ces sûretés qui résistent à la procédure collective reposera sur l’hypothèse mettant en situation un créancier titulaire d’une créance antérieure au jugement d’ouverture d’une procédure collective du Livre VI du code de commerce, créance dont l’objet est le paiement d’une somme d’argent. Des sûretés qui résistent à la procédure collective nous écarterons les privilèges mobiliers et immobiliers
[5], les sûretés personnelles[6], ainsi que les sûretés financières du code monétaire et financier en dehors de la cession de créances par voie de bordereau Dailly à titre de garantie, couramment utilisée par les entreprises, elle. De même, la brièveté de cette présentation nous impose de considérer (afin d’aller à l’essentiel) que les sûretés conventionnelles dont nous traiterons ne sont, le cas échéant, ni remises en cause par les nullités de la période suspecte (C. com., art. L. 632-1, 6°), ni sujettes à l’annulation ou à la réduction au titre d’un concours fautif (C. com., art. L. 650-1). De même, l’hypothèse d’étude supposera la sûreté conventionnelle régulièrement publiée (C. com., art. L. 622-30) et régulièrement déclarée, avec sa sûreté.

Ce travail de délimitation effectué, il ressort que le foisonnement des sûretés et des phases de la procédure collective produit un système de protection favorable au créancier, avec des sûretés réelles conventionnelles qui opposent de manière surprenante ; une résistance totale à la procédure collective (I.) et d’autres sûretés réelles conventionnelles qui quant à elles, opposent une résistance équilibrée à la procédure collective (II.).

§ 1 – Résistance totale à la procédure collective par la sûreté réelle conventionnelle

Les sûretés qui résistent à la procédure collective ne sont pas impactées dans leur efficacité et favorisent le paiement du créancier à l’échéance, ou à tout le moins par dérogation à la discipline des créanciers, lors de la procédure collective d’un débiteur. Les sûretés qui résistent totalement à la procédure collective peuvent être classées selon que la technique d’affectation du bien grevé repose sur le droit de propriété (sans constitution d’un patrimoine d’affectation) (A.) ou hors du droit de propriété (B.).

A. Résistance totale par la propriété-sûreté

1)     La cession de créance par bordereau Dailly à titre de sûreté

La cession de créances par bordereau Dailly est issue de la loi n° 1 du 2 janvier 1981, modifiée par la loi bancaire du 24 janvier 1984. Il s’agit d’une sûreté permettant la cession de créances professionnelle à titre de garantie. Un nantissement de créance par voie de bordereau Dailly a également été introduit mais délaissé par la pratique puisque ce dernier n’offre qu’un droit de préférence au créancier à l’instar des sûretés préférences évoquées dans l’introduction. À la différence du nantissement par voie de bordereau Dailly, la cession Dailly à titre de sûreté s’analyse en cession fiduciaire, en tant que transfert de propriété au terme duquel le cédant (débiteur) transfère une créance détenue dans son patrimoine (liquide et exigible ou à terme) sur son débiteur, le cédé, en garantie d’une créance contractée entre lui-même – cédant — et le cessionnaire (créancier). Il faut noter que ce dernier doit obligatoirement être un établissement de crédit ou une société de financement ce qui restreint le champ d’utilisation de cette sûreté[7]. Autre motif de restriction à l’emploi de la sûreté, et ce au titre de l’assiette de la garantie, les créances doivent être suffisamment « identifiées »[8] pour être cédées.

 

Efficacité face à la procédure collective du cédant débiteur

La cession de créances à titre de sûreté par voie de bordereau Dailly est une sûreté efficace face à la procédure collective du débiteur du cessionnaire. La créance cédée étant « sortie » du patrimoine du cédant, et ce transfert de propriété étant opposable aux tiers dès la date figurant sur le bordereau de cession[9], les effets protecteurs de la procédure collective sur le patrimoine du débiteur n’entravent pas le recouvrement de la créance garantie entre le cessionnaire et le cédé puisque le règlement de la dette est assuré par le cédé[10]. Par ailleurs, la Cour de cassation retient que lorsque la créance acquise par le cessionnaire est générée par un contrat à exécution successive[11], la procédure collective du cédant-débiteur ne remet pas en cause les droits du créancier saisissant sur les sommes échues après le jugement d’ouverture[12].

Notification Point important à préciser : en l’absence de notification[13] adressée au débiteur cédé, le cédant est titulaire d’un mandat tacite de recouvrement des fonds auprès du banquier cessionnaire. La notification de la cession Dailly a pour effet de résilier ce mandat tacite, mais tant que celle-ci n’est pas effectuée, le débiteur cédé peut librement payer le cédant. En cas de procédure collective du cédant, les fonds par lui perçus pour le compte du cessionnaire sont donc absorbés par l’effet réel de la procédure collective. Du fait du caractère fongible de la monnaie, toute revendication des fonds par le cessionnaire est impossible. Ce dernier subira donc les affres des créanciers ordinaires et devra déclarer sa créance à la procédure collective du cédant. Acceptation – Autre aléa dans la protection, l’efficacité de la sûreté peut être mise à mal par l’opposition d’exceptions tenant au rapport contractuel entre le débiteur-cédé et le cédant de la créance. Pour remédier à cet aléa supplémentaire, le créancier cessionnaire peut demander une acceptation de la cession au débiteur cédé, au travers de la notification mais cette acceptation n’est pas acquise. Si elle est refusée le débiteur cédé pourra refuser le paiement au cessionnaire en invoquant les « exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau »[14].

Conclusion (Dailly) – On comprend que l’atout majeur de la cession Dailly à titre de sûreté réside dans la possibilité d’obtenir paiement d’une créance par un tiers, le cédé, en remplacement du paiement de la créance du débiteur originel, le cédant. En ce sens la procédure collective du cédant est indolore pour le cessionnaire puisqu’il perçoit le paiement de sa créance nonobstant l’interdiction des paiements ou des poursuites bénéficiant au cédant. En cela la cession Dailly à titre de sûreté résiste totalement à la procédure collective du débiteur[15].

2)     La clause de réserve de propriété

Introduction L’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la procédure collective de l’acheteur date de la loi n° 80-335 dite Loi Dubanchet du 12 mai 1980 mais il aura cependant fallu patienter jusqu’à l’ordonnance du 23 mars 2006 pour que la réserve de propriété soit qualifiée de sûreté et intégrée à ce titre à l’article 2329 du Code civil, au rang des sûretés mobilières. Elle est une sûreté réelle d’emploi relativement restreint ayant vocation à principalement garantir le prix de cession d’un bien cédé, bien mobilier ou bien immobilier quoique cette dernière application soit extrêmement rare. La clause de réserve de propriété peut aussi également garantir la contrepartie d’autres contrats translatifs de propriété (dépôts, location etc.).
Mécanisme de la sûreté
– Selon l’article 2367 du Code civil, le créancier titulaire d’une clause de réserve de propriété demeure propriétaire du bien meuble transféré à son cocontractant tant que l’obligation qui constitue la contrepartie du transfert n’a pas été intégralement payée au cédant. En ce sens elle est une technique originale d’affectation du bien en garantie puisque le créancier est propriétaire ab initio dudit bien et qu’elle opère en tant que mécanisme suspensif de l’exécution du contrat, le transfert de propriété étant retardé jusqu’à l’exécution de l’obligation. Cette suspension n’empêche pas le débiteur d’être en possession du bien réservé. Par ailleurs, la réserve de propriété peut se reporter, si à l’ouverture de la procédure collective le bien ne se trouve plus en nature dans le patrimoine du débiteur, sur le prix de cession perçu par le débiteur si ce dernier a cédé le bien réservé ou sur le prix de cession que le sous-acquéreur doit verser au débiteur si ce dernier n’a pas payé son co-contractant
[16]. De même, pourra être revendiquée l’indemnité d’assurance portant sur le bien réservé. 
Opposabilité, revendication
– Sûreté très efficace, la clause de réserve de propriété ne requiert que peu de formalités pour être opposable. À l’ouverture de la procédure collective du débiteur, le créancier titulaire de la clause de réserve de propriété pourra opposer la clause à la procédure à condition que soient respectées les conditions de l’article 2368 du Code civil (la clause doit faire l’objet d’un écrit, signé au plus tard au jour de livraison du bien réservé). L’efficacité de la clause est ensuite sujette à l’issue de la revendication par le créancier de la propriété du ou des biens meubles présents dans le patrimoine du débiteur ou de toute autre personne les détenant pour son compte. La revendication s’effectue dans un délai de trois mois à compter de l’ouverture de la procédure (C. Com. Art. L. 624-9) à moins qu’il n’en soit dispensé ce qui est le cas si le contrat comprenant la clause de réserve de propriété a été valablement publié avant le jugement d’ouverture de la procédure collective (C. Com Art. L. 624-10 : dans ce cas le créancier peut demander la restitution « expresse » dans les mêmes conditions de délai que la revendication – C. Com., Art. R. 624-14). Pour être revendiqués, les biens doivent exister en nature dans le patrimoine du débiteur c’est-à-dire tel qu’ils ont été initialement transférés
[17], ce que le créancier doit rapporter dans la demande de revendication[18]. Si les biens réservés ont été intégrés à un autre bien, la revendication ne portera ses fruits que si la restitution n’endommage aucun des biens intégrés (C. Com., Art. L. 624-16, Alinéa 2). Si les biens réservés ne peuvent être séparés des biens du débiteur du fait de leur nature fongible, ils pourront être revendiqués à condition de présenter la même nature et la même qualité que les biens cédés sous réserve de propriété.

Délai de revendication – Il est important de noter que si le créancier réservataire omet de revendiquer son droit de propriété (ce qui est différent de la déclaration de créance, car afférente au droit de propriété) dans le délai préfix, il est forclos et son droit de propriété ne peut plus être opposé à la procédure. Dans ce cas, si le bien est vendu, la clause de réserve de propriété qui ne confère aucun droit de préférence ne lui permettra pas de prendre part aux répartitions du prix de vente[19]. En revanche, l’inopposabilité n’étant pas translative de propriété le réservataire pourra à nouveau revendiquer la propriété à l’issue de la procédure collective de son débiteur.

Paiement par restitution Selon le Code de commerce, la demande de revendication emporte de plein droit demande de restitution du bien réservé (C. Com., Art. R. 624-14 alinéa 4). À l’issue de la procédure, le créancier peut demander la restitution non pas de la propriété mais du droit de disposer du bien dont il est demeuré propriétaire si à l’échéance de sa créance il n’est pas payé (ce qui se déduit de l’article 2372-1 du Code civil et plus important encore, de la lecture a contrario de l’article L. 624-16 alinéa 4 du Code de commerce[20]). Sa créance détenue sur son co-contractant s’éteint alors à due concurrence de la valeur de l’actif restitué (C. Civ., Art. 2371) – Valeur identique au prix constituant l’obligation garantie par la clause si par hypothèse celui-ci se retrouve sous la même nature et qualité dans le patrimoine du débiteur. Si la créance est ou est devenue inférieure à la valeur de l’actif cédé (exemple si un acompte a été préalablement versé) le réservataire devra reverser la différence entre la valeur de la créance impayée et la valeur du bien restitué, l’absence d’enrichissement consécutif à l’exercice d’une sûreté étant un trait commun à toutes les sûretés. Le créancier-réservataire bénéficie donc bien du paiement de sa créance malgré la procédure collective du débiteur. Il ne s’agit pas d’un paiement traditionnel par le versement d’une somme d’argent (encore que ce cas de figure puisse être envisagé car le juge commissaire peut autoriser le paiement du créancier réservataire par le débiteur ou l’administrateur judiciaire, toujours selon le dernier alinéa de l’article L.624-16 du Code de commerce) mais d’une extinction de la créance opérée par la restitution du droit de disposer du bien réservé.

Conclusion (Clause de réserve de propriété) – Cette faculté d’obtenir paiement attaché à la clause de réserve de propriété est exceptionnelle au regard des contraintes généralement exercées par les procédures collectives sur les droits des créanciers. Exceptionnelle d’une part, car cette faculté élude purement et simplement la question du caractère nécessaire du bien réservé à la continuité de l’exploitation du débiteur et d’autre part parce qu’elle est d’application constante, quelle que soit la phase de la procédure collective du débiteur (période d’observation ou plan ; en sauvegarde comme en redressement ou en liquidation judiciaire)[21]. Il convient en revanche de signaler que le créancier garanti par une clause de réserve de propriété court le risque d’être primé en droit par le créancier gagiste qui serait entré de bonne foi en possession du bien meuble présent dans le patrimoine du débiteur. La clause de réserve de propriété n’étant pas publiée, le conflit entre le gagiste avec dépossession postérieur et le réservataire antérieur se résout en faveur du gagiste en vertu de l’article 2276 du Code civil.

B. Résistance totale hors de la propriété-sûreté

     1)          La rétention effective

Introduction Le droit de rétention n’a longtemps fait l’objet que de dispositions fragmentaires dans la Loi. Il a fallu attendre l’Ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 pour qu’un régime général du droit de rétention soit établi. Le droit de rétention effectif permet au créancier de détenir la possession matérielle d’un bien jusqu’au complet paiement de sa créance. Le cas échéant, il se manifeste par le refus de restitution du ou des biens détenus, appartenant à son débiteur tant que la créance garantie n’est pas payée. Le créancier rétenteur est donc titulaire d’un pouvoir de blocage sur le bien.

Sûreté ? Bien que sa nature juridique soit incertaine et sa qualification de sûreté contestée[22], il mérite d’être étudié avec les autres sûretés de cet exposé : lorsqu’il est constitué à titre autonome il est employé comme une sûreté, en tant qu’accessoire d’une créance qu’il garantit. À cet égard, seule la technique d’affectation diffère au regard des suretés réelles, ce qui semble un motif d’exclusion contestable. La doctrine dit d’ailleurs de ce droit de rétention conventionnel qu’il « constitue un diminutif du gage avec dépossession »[23]. Lorsqu’il est constitué à titre accessoire d’un gage mobilier ou immobilier avec dépossession, son efficacité renforce sensiblement la sûreté dont il est l’accessoire. Le créancier rétenteur sera, du fait du gage, investit d’un droit de préférence sur le bien retenu qui s’ajoutera au droit de rétention. Dans la procédure collective du débiteur, il y a même fort à parier que le droit de rétention s’avère d’un secours plus réel que le droit de préférence. Le droit de rétention effectif est incontournable dans le droit des sûretés réelles conventionnelles, d’autant qu’il dispose d’une assiette large : étant admis de longue date que le droit de rétention peut aussi bien porter sur un actif mobilier qu’immobilier[24].

Effets du droit de rétention effectif dans la procédure collective Pendant la période d’observation, le retrait contre paiement offre une faculté de remboursement du créancier (dont l’efficacité pratique dépend, il est vrai, du degré de nécessité du bien retenu au regard de l’activité du débiteur[25]) éludant purement et simplement le concours avec d’autres créanciers, privilégiés, voire super-privilégiés ! En toute logique, la substitution de garantie prévue à l’article L.622-8 du Code de commerce ne doit pouvoir être imposée au créancier effectivement rétenteur, ce que la jurisprudence a effectivement reconnu[26].

Efficacité du droit de rétention effectif durant le plan de sauvegarde ou le plan de continuation Le créancier titulaire de droit de rétention réel ne peut se voir imposer une substitution de garantie au titre de l’article L.626-22 pendant l’exécution du plan. L’assiette de sa garantie est donc préservée, à l’inverse des sûretés réelles préférences.

Efficacité du droit de rétention effectif face au plan de cession Le plan de cession donne un exemple topique de la résistance du droit de rétention dans le cadre de la procédure collective. Le dernier alinéa de l’article L.642-12 du Code de commerce résume l’efficacité du droit de rétention : « Les dispositions du présent article n’affectent pas le droit de rétention acquis par un créancier sur des biens compris dans la cession ». Autrement dit, le transfert du bien retenu au cessionnaire du plan de cession implique le paiement intégral de sa créance.

Efficacité du droit de rétention effectif face à la liquidation judiciaire Les effets de la rétention effective sont également d’une grande efficacité dans le cadre de la liquidation judiciaire du débiteur. La protection du droit de rétention effectif s’exprime de deux façons : soit le liquidateur autorisé par le juge-commissaire demande restitution du bien contre paiement du rétenteur[27] ; soit, à défaut, le bien devra être liquidé – là encore après autorisation du juge-commissaire, le créancier rétenteur bénéficiant alors d’un report de son droit sur l’intégralité du prix de cession[28]. Cela ne garantit pas le plein paiement de sa créance, mais à l’impossible nul n’est tenu, encore plus en liquidation judiciaire ; par ailleurs l’exclusivité dont jouit le rétenteur sur le prix de vente objet du report est une protection remarquable.

Conclusion (Droit de rétention effectif) L’efficacité du droit de rétention est à la fois limitée et considérable. Limitée : car le rétenteur n’est titulaire que d’un pouvoir de blocage, ce qui lui confère une protection passive et non un droit d’agir pour saisir et faire vendre le bien retenu, par conséquent il n’est pas pleinement maître de son destin, mais qui peut prétendre l’être dans le cadre des procédures collectives ? Considérable, car le rétenteur est un gêneur qui s’il détient des actifs stratégiques jouit d’un pouvoir redoutable. En ce cas, il faudra le payer au plus vite pour obtenir la restitution du bien, au mépris de la discipline collective des créanciers.

     2)          Le droit au paiement

Introduction Hors de la propriété-sûreté, ou du droit de rétention, le droit des sûretés offre également une protection aux créanciers pouvant résister de manière absolue à la procédure collective de leur débiteur. Cette protection est conférée dans certaines sûretés sous la forme d’un droit exclusif au paiement du créancier titulaire de celles des sûretés dont le régime est amélioré par ce droit, les sûretés réelles grevant les créances que celles-ci soient affectées en garantie au travers d’une sûreté dédiée (c’est le cas du nantissement de créance du Code civil) ou qu’elles soient incidemment affectées en garantie dans le cadre d’une sûreté portant sur un autre bien du débiteur (c’est le cas du gage immobilier ou du gage mobilier donnant droit aux fruits du bien affecté en sûreté). Par exemple, l’exécution du nantissement de créance repose sur une succession de phases qui peuvent être, à titre liminaire, résumées ainsi : i) l’affectation de la créance par le constituant de la sûreté aux fins de garantie d’une dette envers son créancier, ii) la perception du paiement par le créancier, effectué par le débiteur de la créance cédée postérieurement à la notification du nantissement et, le cas échéant, iii) l’affectation ou l’imputation ou bien la restitution des sommes perçues. L’efficacité du nantissement de créance doit donc s’apprécier dans un premier temps au regard de la deuxième phase : soit la capacité du créancier bénéficiaire à percevoir les sommes en application de la créance nantie. A l’instar des sûretés préférence malmenées par la procédure collective telles que le gage ou l’hypothèque, on pourrait s’attendre à ce que cette phase – absolument critique car la réalisation in fine du nantissement portera sur les sommes que le créancier aura pu percevoir au préalable– soit contrariée par les règles de la procédure collective. Or, il n’en est rien, bien au contraire. Le nantissement de créance ainsi que les gages mobiliers et immobiliers avec dépossession déploient au profit du créancier, un droit au paiement exclusif qui lui permet de capter le bénéfice économique afférent à la créance directement ou indirectement grevée[29] par la sûreté réelle. Pour les besoins de cet article nous ne nous attacherons qu’au droit au paiement dans le cadre du nantissement de créance[30].

Nantissement de créance et droit au paiement – L’efficacité de la sûreté, est acquise par la notification du nantissement de créance au sous-débiteur. Une fois le nantissement de la créance notifié, le sous-débiteur est obligé d’effectuer le paiement au bénéfice du créancier nanti sur son compte bancaire[31] conformément à l‘article 2363, al 1er du Code civil : « Après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement de la créance donnée en nantissement tant en capital qu'en intérêts ». Si « seul » le « nanti » reçoit paiement de sa créance, la notification du nantissement fait ainsi naître au profit de celui-ci un droit exclusif au paiement de la créance nantie[32]. Le créancier nanti ayant un droit exclusif au paiement direct de la créance nantie parce qu’il a un droit à conserver les sommes à titre de garantie, dans le cadre d’un gage-espèces[33].

Efficacité totale du droit au paiement face à la procédure collective du constituant. Schématiquement, L’efficacité du droit au paiement s’analyse en la capacité du créancier nanti à percevoir les fruits de la créance nantie malgré la procédure collective du constituant. Dans le cas du nantissement de créance notifié au sous-débiteur avant l’ouverture de la procédure collective, les sommes préalablement perçues par le créancier nanti doivent-elles être restituées à la procédure ? Cela n’aurait guère de sens, dès lors que le créancier nanti doit être admis à les percevoir malgré l’ouverture de la procédure collective comme nous allons le voir ensuite. Une solution contraire serait en effet « paradoxale » selon M. Julienne puisqu’elle « reviendrait à reconnaître le droit au paiement direct, tout en le vidant de sa substance, et à considérer que le nanti est chargé du recouvrement de la créance mais sans en tirer un quelconque avantage »[34]. Au cas particulier du nantissement de créance, la lettre de l’article 2364 alinéa 2 du Code civil semble d’ailleurs désavouer un tel cas de figure puisqu’en reconnaissant l’obligation de conservation des sommes qui pèse sur le créancier, « à charge pour lui de les restituer si l'obligation garantie est exécutée», elle n’établit qu’une option à deux branches : la restitution des sommes au constituant en cas de remboursement ou l’appréhension des sommes en cas de défaut. La survenance ultérieure de la procédure collective du constituant ne devrait pas remettre en cause cette exclusivité dès lors que la notification du nantissement au sous-débiteur a été effectuée avant le jugement d’ouverture. La capacité à recevoir le paiement des créances nanties ne nous paraît pas devoir être remise en cause par l’interdiction du paiement des créances antérieures au jugement d’ouverture de l’article L.622-7 du Code de commerce[35] dans la mesure où le champ d’application de cet article ne concerne que les paiements effectués par le débiteur et non des tiers

Conclusion (droit au paiement) : Les restrictions apportées aux sûretés réelles traditionnelles rappelées en introduction ne sont pas génératrices de perturbations à l’égard du créancier titulaire du droit au paiement. L’efficacité de ce droit exclusif qui innerve les sûretés réelles avec dépossession est semblable à celle conférée par la cession de créance par bordereau Dailly évoquée plus haut[36]. Le nantissement de créance « mutant » en gage-espèce sitôt les fruits de la créance perçus par le créancier nanti, la protection du créancier est donc totale en dépit de la procédure collective du constituant.

Conclusion générale du I.  Il est évident que la mise en œuvre de sûretés efficaces est fondamentale pour faciliter le crédit aux entreprises et ainsi dynamiser l’économie. Il est cependant tout aussi évident, dans l’intérêt du débiteur mais aussi dans l’intérêt des créanciers – ce que l’on peut avoir tendance à oublier – que les procédures collectives doivent aménager la situation des entreprises en difficulté afin d’en permettre le « retournement ». Comment concilier[37] les deux enjeux lorsque certaines sûretés stérilisent le bilan du constituant ou font échec à la discipline collective des créanciers et à l’interdiction des paiements du débiteur ? Faut-il voir dans les sûretés qui résistent totalement à la procédure collective une fatalité qui découle du caractère nécessairement inconciliable des sûretés et des procédures collectives ? Nous ne le pensons pas. Certaines sûretés sont respectueuses des intérêts des droits des créanciers tout en étant assujetties, pour une durée limitée aux effets de la procédure collective. Le Législateur est en effet intervenu pour équilibrer l’efficacité de certaines des sûretés dont l’efficacité était de nature à remettre en cause la raison d’être des procédures collectives.

§ 2 – La résistance équilibrée à la procédure collective par les sûretés réelles conventionnelles

Ces sûretés, résistantes mais équilibrées, peuvent là encore faire l’objet d’une distribution selon la technique d’affectation retenue : la résistance équilibrée par la propriété transférée à titre de sûreté (A.) et la résistance équilibrée par la possession fictive à titre de sûreté (B.).

A. Résistance équilibrée par la propriété-sûreté

Introduction Nouvelle reine des sûretés, la fiducie a été introduite[38] par la Loi n° 2007-211 du 19 février 2007. Elle consiste en un transfert[39] de propriété de biens (mobiliers ou immobiliers), de droits ou de sûretés – l’assiette de la sûreté est donc considérablement large – dans un patrimoine d’affectation, pour une durée maximale de 99 ans[40]. Ce transfert de propriété est effectué à titre de sûreté d’une créance garantie, dont le montant doit être précisé dans le contrat de fiducie avec la valeur du bien transféré. Le transfert peut être effectué par une personne physique ou morale. Une déclaration d’existence ainsi qu’un enregistrement – à peine de nullité – du contrat dans le mois de sa signature constituent l’essentiel[41] des formalités constitutives.

Le contrat de fiducie-sûreté déploie des effets efficaces pour les créanciers qui en sont bénéficiaires et cumule de nombreux atouts : une assiette large, on l’a vu, une employabilité large puisqu’elle n’est pas réservée comme la cession Dailly à des créanciers spécifiques. Elle est aussi la première des propriétés-sûretés avec patrimoine d’affectation : le bien dont la propriété est transférée n’est pas détenu par le créancier (comme c’est le cas avec une cession par bordereau Dailly à titre de garantie ou une clause de réserve de propriété) mais par un patrimoine fiduciaire autonome, distinct des patrimoines des constituants, des bénéficiaires et bien entendu du patrimoine du Fiduciaire, à ce titre insaisissable[42]. Qui est ce fiduciaire ? Il s’agira d’une banque, d’une société de gestion ou d’une compagnie d’assurances qui exécutera le contrat de fiducie-sûreté conformément aux intérêts du ou des bénéficiaires (les créanciers) et du ou des constituants (les emprunteurs) : si la créance garantie est remboursée à échéance la propriété du bien est restituée au constituant ; si la créance garantie n’est pas payée à l’échéance, alors le bien pourra être transféré au bénéficiaire ou vendu dans les conditions du contrat. Le fiduciaire sera responsable de l’exécution de la mission, y compris de la vente et des opérations de répartition du prix de cession et – notamment – s’il y a lieu, de la soulte devant être versée au constituant.

Patrimoine d’affectation La notion de patrimoine d’affectation est essentielle pour comprendre l’efficacité de cette sûreté, le constituant ayant transféré la propriété des actifs en fiducie, l’ouverture d’une procédure collective de ce dernier sera sans effet sur les droits du créancier-bénéficiaire de la fiducie le paiement du créancier-bénéficiaire intervenant en dehors de la procédure collective. À l’échéance de sa créance, ce dernier pourra ainsi demander au fiduciaire la vente ou le transfert de propriété des biens fiduciaires, sans que la procédure collective du constituant soit un obstacle à la réalisation de la sûreté.

Efficacité équilibrée dans la procédure collective Le transfert fiduciaire soustrait les biens en fiducie à l’effet de saisie de la procédure collective sur le patrimoine du débiteur. Mais pour concilier la sécurité des droits du créancier avec les impératifs d’ordre public de la procédure collective, le Législateur a équilibré le régime de la fiducie par l’ordonnance du 18 décembre 2008. Cet équilibre peut se traduire de la manière suivante : en cas d’ouverture d’une procédure collective du constituant-débiteur et tant que subsiste une chance de sauver l’entreprise du débiteur, le créancier bénéficiaire d’une fiducie ne peut réaliser sa sûreté si les biens affectés en garantie sont utiles au constituant et qu’ils sont en conséquence mis à disposition de ce dernier par le biais d’une convention par laquelle – nonobstant le transfert de propriété – le constituant conserve l’usage ou la jouissance du bien transféré (C.com, Art ; L.622-23-1). Par ailleurs, afin de maintenir la mise à disposition des actifs au bénéfice du constituant, la convention de mise à disposition est soumise au régime des contrats en cours (C. com., Art. L. 622-13 VI), et devrait à ce titre demeurer en vigueur pendant la procédure collective du constituant-débiteur.

Durant la période d’observation de la procédure collective, le créancier bénéficiaire de la fiducie pourra bénéficier d’une procédure de retrait du bien transféré en fiducie contre paiement de sa créance garantie mais seulement si le bien n’est pas laissé à la disposition du constituant (C.com Art. L.622-7, II alinéa 2). Dans le cas contraire, le paiement contre restitution ne devrait pas être autorisé puisque le constituant conserve l’usage ou la jouissance du bien transféré. Par ailleurs, le créancier-bénéficiaire de la fiducie ne pourra exercer sa sûreté durant la période d’observation du débiteur malgré un défaut de paiement si le bien est laissé à la disposition du constituant dans les mêmes conditions[43]. La substitution de garantie ou la cession isolée des biens transférés en fiducie ne devrait pas pouvoir être imposée au bénéficiaire, la propriété des actifs ayant été cédée à la fiducie Il faut noter que le fiduciaire devrait pouvoir être dispensé de la procédure de revendication du bien mobilier transféré à la fiducie dans la mesure où le contrat est enregistré dans le mois suivant la date de sa signature (C. civ. Art. 2019).

Durant l’exécution du plan Le bénéficiaire de la fiducie n’étant expressément pas partie aux comités de crédit, il ne pourra subir une réduction de sa créance garantie par une fiducie[44]. En revanche, si le bien est laissé à disposition du constituant, le créancier bénéficiaire ne pourra exercer sa sûreté tout le temps que dure le plan et tant que le débiteur l’exécute.

Efficacité de la fiducie face au plan de cession – Les biens mis en fiducie n’appartenant plus au constituant, peu importe qu’ils aient été mis ou non à disposition, ils ne pourront être inclus dans un plan de cession, sauf à demander mainlevée de la fiducie, laquelle en tout état de cause nécessitera le complet paiement de la créance du bénéficiaire de la fiducie.

Efficacité durant la liquidation judiciaire Si la situation économique du débiteur est définitivement compromise, la fiducie recouvrera ses effets, le bénéficiaire pouvant dès lors que sa créance est échue ce qui devrait être en majorité le cas (C.com. Art. L.641-3) exercer les droits au titre du contrat et demander l’attribution des actifs fiduciaires en pleine propriété ou leur vente par le fiduciaire. Toute différence entre le prix de cession où le prix d’attribution et le montant de la créance garantie seront reversés comme soulte[45] au constituant.

Conclusion fiducie La fiducie retouchée par l’Ordonnance du 18 décembre 2008 offre un exemple idéal d’articulation entre intérêts du créancier[46] et débiteur. Matérialisant l’idée de « darwinisme »[47]au sein du droit des sûretés, des auteurs en viennent à questionner très justement l’avenir des sûretés « traditionnelles » face à la fiducie sûreté sans pour autant reconnaître que la fiducie scelle la « victoire du créancier sur les intérêts du débiteur ». Ce souci de l’aménagement d’intérêts a priori contradictoires se retrouve également en matière de droit de rétention fictif.

B. Résistance équilibrée par la rétention fictive

Introduction – Les faiblesses du gage sans dépossession, sûreté réelle « traditionnelle » préférence, ont motivé le rééquilibrage opéré par la loi du 4 août 2008, permettant que « celui qui bénéficie d’un gage sans dépossession » bénéficie aussi d’un droit de rétention, et ce, en contradiction avec l’origine du droit de rétention laquelle suppose nécessairement que le créancier bénéficie d’un pouvoir effectif de blocage sur le bien affecté en garantie (C. Civ. Article 2286, 4°). Une large partie de la Doctrine a critiqué cette fiction juridique ainsi que les motivations présidant à sa création. L’ordonnance du 18 décembre 2008 est ensuite intervenue pour aménager les effets de ce droit de rétention fictif à l’instar de la fiducie, afin de les articuler plus harmonieusement dans le cadre des procédures collectives. Le droit de rétention fictif a ainsi subi une édulcoration de son régime, édulcoration qu’il aurait peut-être été cohérent d’appliquer à son turbulent aîné, le droit de rétention effectif, suivant le raisonnement utilisé pour encadrer la fiducie-sûreté : neutralisation de la sûreté durant la procédure collective du débiteur tant qu’une chance de sauvetage existe, plein effet lorsque la situation du débiteur est définitivement obérée ou en cas de cession de l’assiette de la sûreté. Les propos qui suivent reprennent rapidement dans l’ensemble, mutatis mutandis, la logique des développements afférents à la fiducie-sûreté.

Droit de rétention fictif et période d’observation – Le droit de rétention fictif de l’article 2286,4° du Code civil voit ses effets neutralisés pendant la période d’observation et le plan de sauvegarde ou de continuation qui s’ensuit.

Dans le cadre du plan de cession – en revanche, le créancier rétenteur bénéficiaire d’un droit de rétention fictif pourra refuser de restituer au cessionnaire le bien retenu jusqu’au désintéressement total de sa créance et ce, qu’il bénéficie d’un droit de rétention effectif ou fictif. En effet la neutralisation de la rétention fictive de l’article 2286,4° du Code civil par l’article L.622-7 du Code de commerce est exclue en cas de « cession d’entreprise »)[48], aussi faut-il bien considérer que la fiction reprend ses droits après avoir été neutralisée.

Liquidation judiciaire – Le rétenteur « fictif » bénéficie d’une protection similaire à celle du titulaire d’un droit de rétention effectif. Il est traité dans la liquidation judiciaire comme nous l’avons vu dans nos développements liés au droit de rétention effectif un peu plus haut.

Conclusion (le droit de rétention fictif) – La réforme du droit de rétention fictif témoigne de la capacité du Législateur à escamoter la fiction juridique au profit d’une réalité plus tangible : le sauvetage du débiteur. Il pourrait parfaitement en aller dans le sens inverse : pourquoi ne pas escamoter la matérialité du droit de rétention effectif pour le rendre plus compatible avec les objectifs de la procédure collective ?

Conclusion – Nous avons consacré un court instant aux sûretés qui résistent à la procédure collective, avec les imprécisions et les approximations que ce rapide exposé peut comporter et je vous prie de m’en excuser. En filigrane, nous avons également parlé du grand absent de cette présentation, les sûretés qui ne résistent pas à la procédure collective, et elles sont nombreuses. L’existence d’un régime à deux vitesses fait naître des interrogations concernant la cohérence générale de l’action du Législateur sur la matière. Pourquoi laisser coexister des sûretés qui fonctionnent (les sûretés-propriétés) avec d’autres qui ne fonctionnent que médiocrement (les sûretés réelles préférence) quand toutes concourent au même objectif et doivent être soumises aux mêmes contraintes ? Au sein même des sûretés qui résistent à la procédure collective l’homogénéité n’est pas de mise : pourquoi maintenir des sûretés à l’efficacité intacte (les clauses de réserve de propriété) tandis que la fiducie-sûreté qui repose elle aussi sur le droit de propriété présente une articulation équilibrée face à la procédure collective ?

Certes le foisonnement est source de richesse mais pas quand il provoque un manque de lisibilité du droit, à la fois technique et téléologique. La réforme que d’aucuns appellent de leurs vœux en droit des sûretés permettra peut-être une rationalisation du droit existant soit par une harmonisation des sûretés réelles conventionnelles qui n’ont pas fait l’objet des retouches de l’Ordonnance du 18 décembre 2008 (harmonisation qui nous permettra peut-être de maintenir la richesse de nos différentes sûretés), soit par l’universalisation de leur régime dans un outil unique préconisé par certains... Rendez-vous à la prochaine réforme !


 



[1] Voir à ce sujet, A. RIZZI, La protection des créanciers à travers l'évolution des procédures collectives, thèse, LGDJ, 2007.

[2] Ou, à certaines conditions, solliciter l’attribution judiciaire ou conventionnelle du bien grevé.

[3] Exception faite du Titre 1er du Livre VI consacré aux procédures préventives.

[4] F. MACORIG-VENIER, « L’évolution chaotique de la situation des créanciers titulaires de sûretés », RLDA, 2005 n° 80.

[5] C. civ, Art. 2330 et suiv. et Art. 2374 et suiv.

[6] C. civ., Art. 2287-1 et suiv.

[7] Sur la question des établissements financiers étrangers ; D-R. MARTIN, « Embargo sur le bordereau » RD bancaire et fin. 2003, part. p. 149.

[8] C. Mon. Et Fin., Art. L. 313-23.

[9] C. Mon. Et Fin., Art. L. 313-27.

[10] R. Dammann, « Avantages et inconvénients de la fiducie en cas de procédure collective », Revue Lamy de droit civile, Mai 2009, p. 65 ; J-J. ANSAULT, « La cession Dailly dans la tourmente des procédures collectives », Journal des Sociétés, n° 96, mars 2012, n° 12.

[11] Voir en ce sens J-P. Dumas , M. Cohen-Branche, « Cession et nantissement de créances commerciales », Répertoire de Droit Commercial, Dalloz, 01/2014 ; § 73 et suiv.

[12] Cass. com., 7 déc. 2004, n° 02-20.732, FP+B+I+R, Crédit agricole Aquitaine c/ Sté Labat-Merle.

[13] C. Mon. et Fin., Art. L. 313-28.

[14] C. Mon. et Fin., Art. L. 313-29.

[15] Ce qui ne signifie pas pour autant l’invincibilité de la sûreté qui peut être fragilisée par des facteurs extérieurs à la procédure collective du cédant: Si le débiteur cédé est lui-même en procédure collective, le cessionnaire n’aura d’autre choix que de se retourner contre le cédant pour recouvrer sa créance. De même, ainsi qu’on l’a rapidement vu, les exceptions tirées des rapports personnels entre cédant de la créance et débiteur cédé introduisent un aléa dans l’exercice de la sûreté. Enfin, le caractère occulte de la cession Dailly ne protège pas le cessionnaire de conflits potentiels avec les créanciers du débiteur-cédant comme du débiteur-cédé.

[16] C. civ, Article 2372.

[17] Com. 11 juin 2014 , Bull. Civ. IV, n° 104.

[18] Com. 10 mars 2015, n° 13-23.424, D. 2015. 677 ; obs. A. Lienhard; Rev. sociétés 2015. 410; obs. P. Roussel Galle, RTD civ. 2015. 443; obs. P. Crocq , RTD com. 2015. 375; obs. A. Martin-Serf, JCP E 2015, n° 25, p. 33 ; obs. J.-B. Seube , Dr. et patr. juin 2015. 87 ; obs. T. Revet et J.-B. Seube, Gaz. Pal. 1er mai 2015, p. 40 ; note E. Le Corre-Broly, RTDI avr. 2015. 50, obs. J. Sénéchal).

[19] Com. 15 octobre 2013, Bull. Civ. IV n° 153.

[20] Article L. 624-16, alinéa 4 du Code de commerce « Dans tous les cas, il n'y a pas lieu à revendication si, sur décision du juge-commissaire, le prix est payé immédiatement. Le juge-commissaire peut également, avec le consentement du créancier requérant, accorder un délai de règlement. Le paiement du prix est alors assimilé à celui des créances mentionnées au I de l'article L. 622-17. »

[21] Il convient en revanche de signaler que le créancier garanti par une clause de réserve de propriété court le risque d’être primé en droit par le créancier gagiste qui serait entré de bonne foi en possession du bien meuble présent dans le patrimoine du débiteur. La clause de réserve de propriété n’étant pas publiée, le conflit entre le gagiste avec dépossession postérieur et le réservataire antérieur se résout en faveur du gagiste en vertu de l’article 2276 du Code civil : « En fait de meubles, la possession vaut titre. »

[22] Cass. Com. 20 mai 1997, 95-11.915, Publié au bulletin, Guérin, RTD. Civ. , 90.707, obs. P. Crocq ; D. 98 som. 102, note Pièdelièvre ; Defrénois 97, p. 1427 obs. Aynès.

[23] L. Aynès , P. Crocq, Les sûretés, LGDJ, 9ème édition LGDJ, 2015 §447.

[24] Cass. Civ. 3e, 16 déc. 1998, n°97-12.702 , également S. PIEDELIEVRE, Remarques sur le rôle perturbateur du droit de rétention dans le droit des sûretés immobilières, Dr. et patr. avr. 2000, p. 42 « Dans la majorité des hypothèses, le rétenteur détient une chose mobilière. Mais il est également possible que son droit porte une chose immobilière, que ce soit au titre de la sûreté immobilière qu’est l’antichrèse ou que ce soit à un autre titre, par exemple la possibilité, prévue par l’article 20 du décret du 30 septembre 1953, pour un locataire, en cas de non-renouvellement d’un bail commercial, de ne pas quitter les lieux, avant d’avoir reçu le montant intégral de l’indemnité d’éviction. La jurisprudence fournit également quelques exemples de droit de rétention portant sur des immeubles. »

[25] Ce qui devra être démontré par le débiteur lors de sa demande d’autorisation de paiement contre restitution.

[26] Cass. com., 4 juill. 2000, n° 98-11.803 : JurisData n° 2000-002854 , Bull. civ. 2000, IV, n° 136 ; voir également P.-M LE CORRE, « L'invincibilité du droit de rétention dans les procédures collectives de paiement », Recueil Dalloz 2001 p. 2815.

[27] Code de commerce, Article L.641-3 Al 1.

[28] Code de commerce, Article L.642-20-1 Al. 1 et 3.

[29] Nous supposerons qu’il s’agit d’une créance monétaire.

[30] On peut reconnaître l’existence d’un droit au paiement exclusif en matière de gage de meuble ou d’immeuble avec dépossession, lorsque ces derniers sont frugifères. 

[31] Que la créance nantie arrive à échéance avant ou après la créance garantie.

[32] En ce sens O. FILLE-LAMBIE et L.-J. LAISNEY, art. précité, « Par l’effet de la notification, le créancier nanti acquiert donc un droit exclusif au paiement de la créance donnée en nantissement » ; voir également L. AYNES « Le nantissement de créance entre gage et fiducie », Dr. et Patr., sept. 2007, n° 162, p. 66 s., « Mais l’ordonnance du 23 mars 2006 a adopté un corps de règles spéciales au nantissement de créance, qui donnent à celui-ci un visage original, à mi-chemin du gage et de la propriété fiduciaire : il peut en effet conférer au créancier nanti un droit exclusif au paiement, ce qui lui assure une efficacité comparable à celle de la cession fiduciaire. »

[33] M. JULIENNE, Le nantissement de créance, Economica 2012 spéc. n°225.

[34] M. JULIENNE, th. précitée, n° 180.

[35] Ou des créances postérieures non privilégiées au sens de l’Article L. 622-17 du même Code.

[36] En ce sens, O. FILLE-LAMBIE et L.-J.LAISNEY, « Le nantissement de créance, alternatif ou supplétif de la cession Dailly ? », Banque & Droit nº 132 juillet-août 2010 : « le créancier qui aura notifié le nantissement ou la cession de créance pourra continuer à exercer ses droits contre le débiteur de la créance cédée ou donnée en nantissement, nonobstant l’interdiction de paiement des créances antérieures qui frappe le cédant ou le constituant et la suspension des poursuites individuelles à leur égard ».

[37] F-X. LUCAS, « L'efficacité des sûretés réelles et les difficultés des entreprises », Rev. proc. coll., 2009.

[38] Elle était cependant déjà bien connue de notre droit, sous diverses appellations ou institutions juridiques, en ce sens voir A. AYNES, « La fiducie-sûreté par et hors les textes », RDBF n° 5, Septembre 2014.

[39] Code civ., Article 2011.

[40] Code civ., Article 2018, 2°.

[41] Code général des impôts, Article 2019 du Code civil et 223 VH.

[42] Code civ., Article 2025.

[43] F-X. LUCAS, Art. préc., «Pendant la période d'observation d'une procédure de sauvegarde ou d'un redressement judiciaire, le créancier bénéficiaire d'une fiducie ne peut réaliser sa sûreté si les biens affectés en garantie sont utiles à l'entreprise et ont été laissés à sa disposition par convention (C. com., art. L. 622-23-1) et que le droit de rétention conféré par le 4° de l'article 2286 du Code civil est rendu inopposable (C. com., art. L. 622-7) à une personne que la loi ne nomme pas, mais que l'on croit pouvoir identifier comme « la procédure », une nouvelle fois personnifiée pour les besoins de la cause ».

[44] Code de commerce, Article L626-30.

[45] Code civ., Article 2372-4 et 2488-4.

[46] Ch. JACOMIN, « Fiducie : un instrument juridique à découvrir et à pratiquer », RDBF n° 4, Octobre 2013.

[47] R. DAMMANN et M. ROBINET, « Quel avenir pour les sûretés réelles classiques face à la fiducie-sûreté? », Cahiers de droit de l'entreprise, Juillet 2009, n° 4, dossier 23.

[48] E. Garaud, « Sûretés et procédures collectives : l'articulation des réformes », LPA, 17 juin 2009, n° 120, page 4 « L’infériorité du droit de rétention fictif par rapport à celui, effectif, dont est investi le créancier gagiste avec dépossession, s’estompe toutefois en présence d’un plan de sauvegarde ou de redressement qui comporte une cession d’activité incluant la chose gagée : en pareil cas, le rétenteur peut exiger un paiement immédiat ».