La restructuration des entreprises en difficultés en droit français

par Archibald GABRIEL, doctorant en droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

                                                          

Par définition le débiteur, dans le cadre d’une procédure collective, ne part pas d’une « page blanche ». Il doit composer avec ses créanciers historiques. Le débiteur doit tenir compte des créanciers préexistants et de leurs spécificités (par exemple leur nature obligataire). Les créanciers issus des financements structurés présentent certaines spécificités, notamment la complexité des montages dans lequel ils s’intègrent[1]. On retrouve notamment de nombreuses structures dont l’appellation barbare révèle l’origine anglo saxone (LBO : Leverage Buy Out, financement BOT : Buy Operate Transfert). La question du traitement des créanciers issus des financements est complexe car ces créanciers : 

– représentent une part importante de l’endettement dans les grandes restructurations (dans les financements structurés la dette financière représente souvent la majorité du passif devançant largement le passif social ou le passif fournisseur) ;

– ont souvent anticipé la faillite dans la structuration de leurs montages. Comme le souligne le professeur MOULIN « à l’instar d’un immeuble subissant un séisme ou les outrages du temps, un montage juridique ne vaut rien s’il ne sait résister (…) au temps qui passe inexorablement et aux crises (…) le droit des procédures collectives revêt dans cette perspective le masque de l’épreuve sismique »[2].

L’idée est, dans un premier temps, de présenter rapidement la notion de financements structurés et les réponses qu’a apportées le législateur français au fil du temps (§ 1). Par ailleurs, dans un second temps, nous étudierons deux cas de montages pour lesquels les réponses sont plus limitées (§ 2).

§ 1 – Les solutions proposées par le législateur face aux financements structurés

A.  Une rapide présentation des financements structurés : un instrument de neutralisation de la procédure collective

Les financements structurés sont un phénomène ancien et répandu. Le symbole de la France : la tour Eiffel est le fruit d’un montage relativement innovant financièrement pour la période. On retrouve dans ce montage les grands traits du financement de projet moderne. En premier lieu, le projet est isolé du reste de la société Eiffel dans une société ad hoc appelée la société de la tour Eiffel (STE) chargée de conserver l’actif pendant la période de la construction. Avant que la tour Eiffel ne soit transférée dans une autre entité en charge de la concession.

Par ailleurs, le risque est reparti entre les entités les plus aptes à supporter le risque dans le cadre d’un partenariat public-privé. Ainsi l’ensemble des risques du chantier sera supporté par la société en charge de la construction du projet.

Enfin la subvention versée par l’État ne permet de financer qu’une part minoritaire du projet. C’est donc via la dette que le projet sera financé. L’endettement important du projet (entre 80 % et 90 % du projet) est remboursé par la trésorerie issue du projet durant la période de la concession (notamment la vente, pendant vingt ans des billets d’ascension au monument). Dans le cadre d’un schéma classique de BOT (Buy, Operate Transfert), la Ville de Paris a récupéré le monument à la fin de la concession.  

Des schémas de financements complexes ont été développés dans le cadre de nombreux ouvrages français : Disneyland Paris, Viaduc de Millau[3] ou le tunnel sous la manche.

Si le phénomène n’est pas nouveau, il a connu ces vingt dernières années un essor exponentiel. Nous allons tenter d’isoler quelques grandes caractéristiques.

Ces financements sont caractérisés par leur importance en termes de montant ainsi que leur structuration « complexe »  (multiplicité des acteurs ayant chacun leurs intérêts,  spécificité des projets financés) et largement contractuelle. Les créanciers ont cherché à mettre en place des financements « sur mesure ». Le professeur Moulin affirme que le montage est « l’action de mettre ensemble, selon des techniques propres, des éléments épars et variés afin de faire produire à leur combinaison un effet particulier spécialement recherché »[4]. Au pays de la « haute couture », les praticiens ont donc développé des solutions spécifiques pour satisfaire les créanciers exigeants (la mise en place de limitation de recours, création d’entités ad hoc, subordination de la dette[5]…). Par ailleurs, certains praticiens n’ont pas hésité dans le cadre de montage astucieux à contourner certaines contraintes imposées aux créanciers par les procédures collectives. Le législateur a développé des réponses spécifiques pour tenir compte des spécificités de ce type de dispositif.

Les financements structurés sont des montages en concurrence avec la procédure collective.

Les financements structurés ont un double objectif : capter l’actif (les biens) et définir le passif (la dette) ainsi que définir l’ordre des répartitions du produit de la saisie des biens entre les créanciers. 

Ces deux objectifs sont les mêmes que ceux des procédures collectives : capter l’actif et répartir le produit de cette saisie. La concurrence entre les deux systèmes est donc inévitable.
De prime abord, la lutte semble inéquitable. Les financements structurés sont issus de la volonté de certaines parties et de nature largement contractuelle. Ils devraient donc s’incliner face aux règles fixées par le droit des procédures collectives fortement teintées d’ordre public. C’est la « loi des parties » contre la « loi tout court ». Une étude plus poussée des montages des financements structurés révèle une efficacité inattendue de ses montages, y compris dans des contextes de procédure collective. Cette efficacité est largement liée à une stratégie des financements structurés exploitant l’ensemble des limites du champ d’application des procédures d’insolvabilité.  
Les financements structurés sont des montages avec une approche spécifique. S’agissant du modus operandi, deux méthodes sont possibles :

– d’une part, l’utilisation de textes dérogatoires. Dans cette configuration, le montage s’appuie sur l’adage specialia generalibus derogant la « règle spéciale prime la règle générale ». Afin d’échapper au régime commun du droit des procédures collectives, considéré comme trop contraignant pour le créancier, les praticiens s’appuient sur des régimes spéciaux. Nous ne nous étendrons pas sur le sujet ;

– d’autre part, l’utilisation des limites de la procédure collective. Pour le professeur GUYON, « le droit des procédures collectives est (…) comparable à l’état d’urgence, qui suspend l’application des lois habituelles »[6]. Comme cela vous a été exposé lors de l’atelier : « Les altérations nécessaires des lois en matière de droit des entreprises en difficulté », le droit des procédures collectives déroge au droit des contrats, à celui des suretés… Pour ne pas que cet état d’exception ne devienne le droit commun, le champ d’application des procédures collectives est borné par des limites territoriales, réelles et temporelles. Il est possible de citer deux exemples de limites pour être plus concret :

– Celle liée à l’espace : théoriquement la procédure collective a vocation à déployer ses effets sur tous les biens du débiteur, y compris ceux localisés dans un autre état (effet universel reconnu depuis l’arrêt Khalifa Airways[7]). Cependant la pratique est différente : que penserait le juge brésilien d’un administrateur français utilisant le droit français en espérant capter les actifs localisés à Fortaleza ou à Brasilia ? Il est peu probable que l’administrateur français soit en mesure d’imposer ses règles. Si la règle de Droit international Privé affirme qu’une autre juridiction est compétente, il devra obtenir la validation du juge brésilien et  l’exéquatur de la décision d’ouverture de la procédure collective.

– Celle liée à l’effet réelle de la procédure collective : la procédure collective permet d’organiser l’insolvabilité du débiteur. Elle n’a pas vocation à déployer ses effets au-delà du patrimoine du débiteur. Elle ne devrait exercer qu’une influence limitée sur les relations inter créanciers.

Nous reviendrons sur l’utilisation de ces deux limites dans la seconde partie de cette analyse. Mais en premier lieu nous allons faire un rapide panorama des réponses apportées par le législateur face à l’essor de ces financements spécifiques.

B.  Les multiples dispositifs proposés par le législateur de traitement des financements structurés

Si l’on reprend les différentes caractéristiques des financements structurés, il est possible de constater qu’au fil des réformes le législateur a tenté d’apporter des réponses pour faire face à ces problèmes.

Comment faire face à des niveaux d’endettement aussi importants (une dette équivalente à 10 fois l’EBITDA dans le cas de la société Saur) ?      
Historiquement, l’effort maximum pouvant être imposé par le tribunal à un créancier en droit français est le rééchelonnement  de la dette sur 10 ans[8]. La solution était parfois insuffisante. Dans certains dossiers avec un niveau de levier particulièrement élevé, l’abandon ou la conversion de créance étaient indispensables. 

En 2005, le législateur crée la sauvegarde et les comités. Ces comités négocient avec le débiteur le détail du plan. Cette institution permet d’organiser un vote avec certaines catégories de créanciers notamment les créanciers financiers (au départ seules les banques au sens étroit du terme étaient conviées avant que le périmètre des créanciers financiers ne soit progressivement agrandi[9]). Il est possible de leurs demander des sacrifices au-delà de ce qu’est en mesure d’imposer un tribunal en France : abandon de créance, rééchelonnement au-delà de 10 ans, une conversion des créances en capital ou en titres donnant ou pouvant donner accès au capital (depuis 2008). C’est la mise en place d’un véritable piège pour les créanciers.

La principale condition pour obtenir l’approbation d’un plan est l’obtention d’une majorité de créanciers. Pour obtenir cette approbation, il est donc impératif de prouver que le sacrifice des créanciers est nécessaire à la poursuite de l’activité.

Que faire si les difficultés de la société ne sont pas opérationnelles mais simplement liées au financement mis en place (parfois ces sociétés dégagent d’importants flux opérationnels : 400 m€ d’EBITDA pour VIVARTE ou 100 m€ pour la SAUR) ? Comment restructurer ce passif sans perturber l’exploitation ?

En 2010, le législateur crée la sauvegarde financière[10], une « procédure semi collective »[11], permettant de ne s’adresser qu’à certains créanciers : les créanciers financiers[12].

Une fois ouverte, la SFA produit ses effets (arrêt des paiements, du cours des intérêts et des poursuites, etc.) uniquement à l’égard des établissements financiers et, le cas échéant, des créanciers obligataires (c’est-à-dire détenant des obligations de l’entreprise). C’est une sauvegarde à la carte.

Comment faire face à des créanciers aussi différents (un créancier senior certain d’être remboursé et un créancier junior certain de ne pas l’être) ? Comment faire face à des créanciers ayant, pour certains, déjà organisé une hiérarchie entre eux ?

Dès 2005, le législateur précise que « chaque projet de plan peut établir un traitement différencié entre les créanciers si les différences de situation le justifient ».

Par ailleurs en 2010, le législateur a précisé au sein de l’article L.626-30-2 du Code de commerce que le plan « prend en compte les accords de subordination entre créanciers conclus avant l’ouverture de la procédure. ».

De l’autre côté du spectre les créanciers les mieux garantis : « ne prennent pas part au vote les créanciers pour lesquels le projet de plan […] prévoit un paiement intégral en numéraire ».

Malgré ces multiples réformes (2005, 2008, 2010, 2014…), certaines questions persistent face à certains montages spécifiques.

§ 2 – Les problèmes persistants dans le traitement des financements structurés durant les procédures collectives

Nous avions évoqué l’utilisation des limites de la procédure collective par certains montages, notamment l’utilisation des limites de la procédure collective dont :

– Les limites territoriales : nous étudierons en premier lieu le cas d’un montage aboutissant à transférer un actif hors du territoire français : la « double Lux Co »[13].

– Les limites réelles : nous étudierons dans un second temps le cas d’une subordination contractuelle  qui, plutôt que d’organiser les rapports entre débiteur et créanciers, préfère organiser les rapports entre créanciers. 

A. Le cas d’un SPV spécifique : le mécanisme de la double « Lux co »

Le cas de la double « Lux co »  
L’objectif du montage est de soumettre les sûretés au droit luxembourgeois. Cette structure devait permettre de réaliser les sûretés dans le cadre du droit luxembourgeois réputé plus favorable à la mise en œuvre des garanties. Le débiteur possède un bien (ex : immeuble en France/société française), le créancier préfèrerait être soumis au droit luxembourgeois (une petite principauté réputée favorable au créancier). Si le mécanisme fonctionne, il pourrait entrainer une réduction de l’aspect collectif des procédures d’insolvabilité.    
Ce montage classique en matière de financement structuré s’appuie sur une société luxembourgeoise dite Lux-Co. Ce montage consiste à positionner au-dessus de la holding française une société holding créée et domiciliée au Luxembourg. Les praticiens ont tenté d’améliorer le montage en ajoutant à la première holding (Lux-Co 1) détenant les titres de la société holding française, une seconde holding (Lux-Co2) détenant les titres de la société holding luxembourgeoise (la Lux-Co 1). Chacune de ces holdings (Lux-Co 1 et Lux-Co 2) se consentant un nantissement des titres détenus (respectivement sur la holding française et sur la Lux-Co 1) en garantie supplémentaire au prêt bancaire consenti à la holding française.  
Le fonctionnement du mécanisme repose sur l’utilisation des limites de la procédure collective[14] :

– L’utilisation des limites réelles permet un traitement séparé du véhicule localisé à l’étranger et du reste du groupe. Ce traitement séparé présente un intérêt lorsque la situation patrimoniale, financière ou commerciale de la filiale est moins obérée que celle de la société mère. Il accroit les chances d’obtenir un désintéressement plus important du créancier. 

– L’utilisation des limites territoriales visant à choisir le droit applicable. On est face à « une augmentation des cas d’évitement de certains droits nationaux »[15] exploités par les créanciers. Le droit retenu sera souvent celui qui permet une restriction plus limitée des droits du créancier et la préservation de l’efficacité des sûretés.

La double Lux-co s’appuie sur un mécanisme à double détente.

La première détente consiste à localiser le COMI au Luxembourg (Center Of Main Interest). En droit européen, le COMI est l’endroit qui est perçu par les tiers[16] comme le centre des affaires de la société. Si celui-ci est au Luxembourg, la procédure collective sera soumise au droit luxembourgeois. 

L’article 3 du Règlement n° 1346/2000 et du Règlement n° 2015/848 présume que le COMI d’une personne morale se situe dans l’État membre où est localisé son siège statutaire.

La première holding luxembourgeoise a pour objectif de localiser le COMI au Luxembourg (administrateurs localisés au Luxembourg, les réunions des organes de directions, les négociations et la signature des contrats au Luxembourg, des clauses de maintien du COMI au Luxembourg sont mises en place[17]…).
La procédure contre la Lux-co devrait donc en théorie être ouverte au Luxembourg. Cette présomption est cependant réfragable. Pour renforcer les chances de faire reconnaitre au juge l’existence d’un COMI luxembourgeois, en plus de la domiciliation de la holding, on nomme des administrateurs locaux et les réunions des organes de directions, les négociations et la signature des contrats se font au Luxembourg. Mais la notion de COMI est exigeante, il existe un risque que le juge considère, malgré ces éléments, que le « cœur des affaires » est en France.
Le risque était que, malgré la présomption simple[18]
fixant le centre des intérêts principaux d’un débiteur dans la juridiction de son siège statutaire, la procédure soit ouverte dans la juridiction où étaient localisés les actifs. Cette crainte des praticiens a été amplifiée suite à l’affaire Cœur défense[19]. Les praticiens ont donc tenté d’améliorer le montage en ajoutant à la première holding (Lux-Co 1) détenant les titres de la société holding française, une seconde holding (Lux-Co2) détenant les titres de la société holding luxembourgeoise (la Lux-Co 1). 
La seconde détente consiste à tenter de localiser le bien au Luxembourg. L’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre état membre.
La règle rappelle une loi connue en droit international privé : la lex rei sitae (la loi applicable est celle où est localisée la chose). Cette règle devrait être applicable : si le bien est au Brésil, c’est le droit brésilien qui joue.   
L’idée est donc de « transférer » un actif, situé en France, au Luxembourg. Pour cela le praticien transfère le débat de l’actif de base (un immeuble ou une société localisée en France) vers la holding qui le détient (société localisée au Luxembourg). Le débiteur considère que le débat  n’est pas sur l’immeuble qui reste localisé en France mais sur la société qui le possède qui, dans notre cas, est au Luxembourg. On peut s’interroger sur l’analyse que le juge français pourrait faire d’un tel montage. Dans l’affaire Carron 20 mars 1985[20], un citoyen de droit américain ayant deux enfants l’un français et l’autre américain souhaitait « déshériter » ses enfants auprès d’une tierce personne. Une partie de sa fortune était investie dans une résidence située dans la marina des baies des anges sur la Côte d’Azur. Le droit français (celui de l’immeuble) ne l’autorisait pas à déshériter totalement ses enfants. Pour contourner les contraintes du droit français, le bien est transféré dans une société aux USA. La loi applicable en matière de transmission devrait être celle des actions (américaine) et non celle de l’immeuble (française). Le juge français avait considéré qu’il y avait fraude. En matière de Lux-co, le juge est pour l’instant plus modéré.  
Dans la récente affaire Courtepaille
[21], les fonds d’investissement  Fondations Capital et CM-CIC Investissement avaient mis en place un LBO sur la société Courtepaille. La société ICG avait financé l’opération via un prêt. Ce prêt incluait deux covenants (un ratio défini par la documentation de crédit précisant que la dette ne pouvait pas être plus de 7 fois supérieur au cash-flow généré). Le droit luxembourgeois permet de réaliser un nantissement pour violation d’un covenant, pas le droit français.
Le tribunal de commerce de Paris a considéré que le bris du levier financier constituait un élément déclencheur autonome permettant de réaliser la sûreté. Cette analyse semble implicitement reconnaitre l’applicabilité de la loi luxembourgeoise dans le cadre de cette double Lux-co.

Ce succès du montage est-il un cas isolé ? Un second cas intéressant est celui de l’utilisation des limites fonctionnelles de la procédure collective dans le cadre de la subordination contractuelle.

B. Le  cas de la subordination contractuelle

L’objectif du montage est de définir l’ordre de paiement des créanciers[22]. L’ordre des réparations est théoriquement défini par les règles de la procédure collective. L’objectif est qu’un créancier A, inférieur en rang selon la procédure collective, capte les sommes dues à un créancier B, supérieur en rang. Pour cela le montage s’appuie sur une clause de « Claw back » ou de « turnover » subordination. Cette clause crée une obligation pour le créancier junior de rétrocéder à chaque fois que ce paiement interviendra dans une situation de concours avec les créanciers seniors[23].

Ce mécanisme se décompose à nouveau en deux étapes successives.

La première phase respectueuse du droit des procédures collectives puisque la répartition se déroule comme prévu par le livre VI du Code commerce. Les créanciers seniors comme juniors sont réglés conformément à l’ordre des répartitions fixées par le droit des procédures collectives. Pour les créanciers qui ne sont pas parties à l’accord, ce dernier n’aura aucune influence directe, il ne générera pour la procédure aucune charge supplémentaire En effet les sommes versées aux juniors, correspondent à celles qui lui sont dues.            
Dans un second temps, un versement intervient entre le créancier junior et senior. Ces deux créanciers sont en principe « in bonis », l’attraction de la procédure collective de leurs débiteurs communs envers un rapport entre deux parties dont aucune n’est débitrice de la procédure semble extrêmement discutable. Car, comme le souligne un auteur « la nature du droit des procédures collectives (…) vise essentiellement à encadrer les relations entre un débiteur failli et ses créanciers et non pas celles susceptibles d’intervenir entre créanciers »[24]. Certains praticiens s’appuient notamment sur ce raisonnement pour affirmer la neutralité des clauses « d’intercreditor agreement » envers la procédure collective. Tout est dans la terminologie retenue : intercreditor (entre créanciers et non entre le débiteur et ses créanciers). Un auteur souligne que « cette convention de subordination semble a priori neutre pour la procédure collective puisqu’il s’agit seulement, entre les prêteurs d’organiser leurs relations dans le cadre d’intercreditors agreements »[25]. Cette idée est reprise par un praticien qui affirme que « (la subordination particulière) qui opère entre deux créanciers ou groupes de créanciers est neutre pour les autres créanciers »[26]. Dans cette configuration, l’efficacité de la clause de claw back semble difficilement discutable.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 février 1985[27] affirme d’ailleurs que « le syndic a pour fonction de répartir les sommes provenant de l’actif du débiteur […] après avoir établi sous sa responsabilité l’ordre des créances en tenant compte des documents remis par les créanciers […] en s’abstenant de tenir compte de ces documents, clairs et précis, dont la lecture devait lui permettre de déterminer l’ordre réel des privilèges […] le syndic a commis une négligence ». Dans cet arrêt, la Cour d’appel a considéré que la responsabilité personnelle du liquidateur pouvait être retenue lorsque ce dernier omet de faire état d’une convention de rang passée entre deux créanciers privilégiés et de tenir compte de cette cession d’antériorité dans ses répartitions.

En Droit français, le créancier habile parvient souvent à ses fins même en cas de procédure collective. De ce constat jusqu’à la conclusion que le Droit français serait favorable au créancier, il n’y a qu’un pas. Mais je ne franchirais pas le Rubicon, puisqu’il est à présent temps pour moi de laisser la parole sur la difficile question de savoir si « Le droit français est ou non creditor friendly ? ».

 



[1] H. Touraine, « Finance structurée : définition, objectifs et éléments caractéristiques », RTDF, 2006, n° 3, p. 131 et s. 

[2] J-M Moulin, « Rapport introductif : qu'est-ce qu'un montage ? » RPC, 2013, n° 3, p. 50.

[3] M. lyonnet du Moutier, L'aventure de la tour Eiffel: réalisation et financement, 2009, Publication de la Sorbonne, p. 153.

[4] J.-Ph. Dom, Les montages en droit des sociétés, Joly éd. 1998, p. 3 et s. ; D. Poracchia, Recherche sur les montages conçus par les professionnels du droit, Thèse de l’Univ. Aix Marseille 1998, préf. de J. Mestre, PUAM, p. 2 et s ; J-M Moulin, « Rapport introductif : qu'est-ce qu'un montage ? » RPC, 2013, n° 3, p. 50.

[5] Z. Sekfali, Droit des financements structurés, 2004, Revue Banque, p. 2 et s. 

[6]  Y. Guyon, « Le droit des contrats à l’épreuve du droit des procédures collectives », Mélange J. Ghestin, LGDJ, 2001, p.405.

[7] Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-17.869, Khalifa Airways; note L.C. Henry, D., juin 2006, n° 21, p. 1466 ; note A. Lienhard, D., mars 2006, n° 13, p. 914 ; note J-P. Legros, JCP. E, juillet 2006, n° 27, p. 1227. 

[8] Article 65 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises.

[9] Article 65 de l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté.

[10] Article L. 628-1 du code de commerce.

[11] P.M. Le corre, « L’avènement prochain d’une procédure semi-collective », GP, 2010, n° 219, p. 3 ; F.X Lucas, « Caractère collectif de la procédure et sauvegarde financière accélérée », RPC, 2012, n° 3, p. 93.    

[12] Article L628-1 du code de commerce.

[13] P. Thomas et X. Couderc-Fani, « Incertaine efficacité et alternatives aux doubles Lux-co », RDBF, 2015, n° 4, p. 20 et s., R. Dammann et A. Lavenant, « Percer le mystère du montage « double LuxCo » », BJE., 2013, n° 5, p. 268 et s. ; A. Bordenave et T. Granier, « De la « double peine » en cas de recours à une « double LuxCo » ? », option finance, 2011, Lettre M&A et Private Equity, p.11. 

[14] M-H Monsèrié-Bon et G. Jazottes, « Les groupes et les stratégies des créanciers », RPC, 2013, n° 6, p. 72 et s.

[15] W. G. Ringe, « Forum Shopping under the EU Insolvency Regulation », University of Oxford, Faculty of Law, Aout 2008 ; L. Webb and M. Butter, « Insolvency proceedings. Shopping for the best forum », PLC Magazine, 2009.

[16] CJCE Eurofood , 2 mai 2006, n° 2006-400085, R. Dammann, D. 2006, p. 1286, F.-X. Lucas, D. 2006, Pan. 2251, J.-P. Rémery,  Rev. sociétés 2006, p. 360, M. Menjucq, JCP G 2006, II, 10089.CJUE, Interedil, 20 oct. 2011, n° 2011-025332, M. Menjucq, RPC, 2011, comm. 177 et ét. 32, R. Dammann et A. Albertini, JCP E 2012, 1309, obs.; J.-E. Kuntz et V. Nurit, Bull. Jol. Soc. févr. 2012, p. 164, n° 68.

[17] X. Etienne et J-P. Brillet, « Une des conséquences de la crise financière sur la structuration des transactions : la « double Lux-co », Option Finance, 2011, .n°1112, p. 29. 

[18] Art. 3 du Règlement européen n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.

[19] Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13.988, 10-13.989 et 10-13.990, P+B+R+I, Sté Heart of La Défense ; note Ph. Roussel Galle, D. Lettre Omnidroit, mars 2011, n° 138, p. 2; note M. Menjucq, RPC, mars 2011, n°2, p. 1 et s. ; note B. Saintourens, act. proc. coll. avril 2011, n°7, p.1 ; note L. Arcelin Lécuyer, D, juin 2011, n°21, p. 1441. 

[20] Civ 1ère, 20 mars 1985, n° 82-15.033, Revue critique DIP 1986, 65, note Y. Lequette, p. 69.

[21] Tribunal de Commerce de Paris 23 Juin 2015 n° 2015-025554.

[22] M. Bali, La subordination financière, Thèse de l’Univ. Dauphine, 2012; A. Multrier-Trebulle, La notion de subordination de créance, Thèse de l’Univ. Paris 2, 2002.

[23] A. Couret, « Les financements mezzanine », JCP E, 1990, n° 9, p. 144.

[24] L. Faugérolas, « La subordination des créances », Mélanges J. Derruppé, 1991, Joly, p. 227.

[25] C. Théron, « la loi de sauvegarde à l'épreuve des hedge funds et de leur ingénierie financière », Déc. Strat. Fin. Dr., 2008, n° 99, p. 53.

[26] G. Ansaloni « retour sur la subordination des créances », Banque et Droit, 2012, n° 141, p. 25.

[27] CA de Paris, 12 Février 1985, n° 1985-020516.