Des enjeux du changement climatique à l’ouverture des données;

De l’ouverture des données aux enjeux du changement climatique :

Le droit de vivre dans un environnement sain

à l’ère des gouvernements ouverts

par William GILLES, Directeur du master Droit des données, des administrations numériques et des Gouvernements ouverts de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Président de l’IMODEV et Irène BOUHADANA, Directrice du master Droit des données, des administrations numériques et des Gouvernements ouverts de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Secrétaire-générale de l’IMODEV.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, «le changement climatique représente la plus grande menace pour la santé dans le monde au XXIe siècle»1. Or, l’un des enjeux en matière de changement climatique résulte de l’accès aux informations relatives à ces questions. Il s’agit par exemple de permettre aux scientifiques de mener à bien leurs travaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique; d’informer les citoyens et les gouvernants pour les inciter à adopter les bonnes pratiques ou encore de favoriser le contrôle des organisations non gouvernementales et de la société civile sur pratiques environnementales et industrielles qui sont menées dans le monde.

Traiter de l’impact de la transparence sur les enjeux climatiques internationaux sonne par conséquent comme une évidence. Les solutions à cette problématique le sont peut-être moins, mais il ne fait aucun doute qu’organiser un colloque2 sur cette thématique s’imposait dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques dite COP 21. Le choix de ce sujet ne se justifie pas seulement par l’importance des enjeux qu’il comporte. Il s’explique aussi par la relation étroite qui existe entre la problématique de transparence de l’information et celle de l’environnement. Les premiers textes sur l’accès à l’information publique ont d’abord concerné les questions environnementales, qui elles-mêmes ont une incidence sur le climat.

Pour les mêmes raisons, il était tout aussi nécessaire de traiter de la question de l’open data et de son impact sur les enjeux climatiques internationaux en ouverture d’un colloque labellisé par le comité d’organisation de la COP 21. Non seulement l’avènement de société de l’information appelle à s’intéresser à l’ouverture des données publiques pour en favoriser une meilleure circulation, et donc une plus grande transparence. Mais en outre, il était impossible de ne pas rappeler que l’émergence du processus d’ouverture des données publiques est étroitement liée aux questions climatiques. La nécessité de disposer de données suffisantes pour mieux maîtriser les enjeux climatiques a en effet favorisé l’émergence de l’open data.

Par open data, il faut comprendre le processus d’ouverture des données, publiques ou privées destiné à permettre leur réutilisation. Lorsque les données ouvertes ont été recueillies par des administrations publiques ou dans le cadre de services publics, ce mouvement est qualifié d’open government data ou de données publiques ouvertes.

La recherche de transparence gouvernementale n’est pas nouvelle : le premier texte paru en matière de transparence administrative fut la loi suédoise de 17663, mais le droit d’accès à l’information publique s’est réellement développé deux siècles plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, avec l’apparition, par exemple, du Freedom Act of Information aux États-Unis du 4 juillet 19664 ou encore de la loi du 17 juillet 1978 en France5. Si ces textes traitent du droit d’accéder à l’information publique, ils n’envisagent pas encore la question de l’ouverture des données publiques et surtout du droit de leur réutilisation, qui sont plus récents. Sans doute est-il possible de dater l’origine de ce mouvement au milieu des années 1990.

Une réelle prise de conscience de l’intérêt d’ouvrir les données apparaît en 1995 lorsque l’Organisation Météorologique Mondiale (WMO) envisage, au cours de son congrès, de soumettre au débat la question de la commercialisation des données météorologiques qui jusqu’alors avaient été diffusées gratuitement. Face à cette proposition, un rapport6 sera publié pour dénoncer les conséquences néfastes de cette proposition, en particulier du point de vue scientifique. En effet, le rapport met en lumière le risque sérieux que cette évolution pourrait porter à la capacité des scientifiques à conduire une recherche au plan mondial, et même régional. Les auteurs de ce rapport insistent alors sur la nécessité des chercheurs de pouvoir s’appuyer sur des données qui sont collectées et traitées dans tous les domaines et sur toutes les parties du globe. Le rapport souligne le lien qui existe entre l’accès à une information scientifique de qualité en matière climatique et la compréhension scientifique de la Terre et des éléments qui la constituent. Favoriser l’ouverture de cette information permet de mieux analyser les enjeux internationaux environnementaux et climatiques. Pour ces raisons, les auteurs du rapport appelaient à l’extension, plutôt qu’à la réduction, des pratiques internationales alors en cours qui garantissaient un échange ouvert et complet des données scientifiques. La volonté de mieux maîtriser les enjeux climatiques grâce à l’analyse d’une information exhaustive a donc contribué à l’avènement du mouvement de l’open data.

Restait ensuite à développer ce processus, ce qui interviendra à partir des années 2000. Il n’est pas anodin de constater que c’est également au cours de cette décennie qu’ont émergé des réflexions destinées à garantir l’efficacité de la politique d’ouverture des informations publiques. Au titre de ces dernières, il faut citer la conférence de Sébastopol de 20077 qui a permis de dégager les critères nécessaires à l’ouverture des données. Ce droit mou affirmé lors de la conférence de Sébastopol avait cependant été affirmé 4 ans auparavant à un niveau d’exigence normative supérieure en Europe, à travers la directive sur le secteur public de l’information de 2003 dont l’objectif est de fixer un cadre juridique européen favorisant la réutilisation des informations publiques. Ce texte complète lui-même un précédent cadre juridique apparu dès 1998 avec la convention d’Aarhus8. Cependant, à l’époque il s’agissait moins de favoriser la réutilisation des informations publiques, objectif ultime d’une politique d’open data, que d’encourager les États à rendre accessibles au public les informations qu’ils détiennent, en particulier en matière environnementale puisque c’est l’objectif même de ce texte. Ce corpus juridique toujours en vigueur mérite cependant d’évoluer. Certes, l’Union européenne a révisé en 20139 sa directive de 200310 pour mieux harmoniser les pratiques entre les différents pays en matière de réutilisation des données publiques et rendre cette politique publique plus efficace.

Cependant, les enjeux inhérents aux enjeux climatiques imposent désormais de franchir une nouvelle étape, d’autant que la société de l’information n’en était en 1995 qu’à ces balbutiements. De nouvelles possibilités existent que le juriste doit tenter d’exploiter pour créer un nouveau cadre juridique d’ouverture des données environnementales et climatiques suffisamment ambitieux pour répondre aux enjeux posés par cette problématique. En la matière deux axes pourraient être privilégiés. D’une part, doit être envisagée la question de la diffusion des bonnes pratiques en matière de transparence de l’information publique environnementale. Il est proposé d’autre part, de réfléchir à la création d’une nouvelle catégorie juridique de données dont l’objectif sera de renforcer le droit à l’information des citoyens, consubstantiel au droit à vivre dans un environnement sain.

§ 1 – Diffuser les bonnes pratiques en matière d’ouverture de données environnementales : de l’utilité des gouvernements ouverts

L’ouverture des données environnementales ne peut produire un réel impact que si elle permet de répondre à des objectifs précis. Il est possible d’en identifier au moins deux. Il s’agit d’une part de diffuser les bonnes pratiques en matière d’ouverture des données environnementales. Il importe d’autre part d’approfondir l’impact de l’ouverture des données environnementales en envisageant le droit de vivre dans un environnement sain.

La gouvernance publique de l’information environnementale : entre diffusion de bonnes pratiques et développement de paradoxes

Cette première approche repose sur l’existence de bonnes pratiques en matière environnementale. Elle s’inscrit dans une démarche de sensibilisation à l’égard des enjeux climatiques internationaux. En ce domaine, l’open data peut constituer un terrain de prédilection en ce qui concerne la diffusion des bonnes pratiques en matière environnementale. Il s’agit de permettre l’accès aux informations relatives à ces pratiques et leur diffusion auprès du public.

Au nombre des bonnes pratiques en matière d’ouverture des données environnementales figurent la diffusion d’informations relatives à la qualité de l’air. Ces informations ont un impact déterminant sur la santé des populations en général et sur celles qui sont plus fragiles en particulier. En France, par exemple, la diffusion des informations relatives à la qualité de l’air est assurée par des Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air (AASQA) qui assurent cette mission de surveillance pour le compte de l’État11. L’article L. 221-3 du Code de l’environnement prévoit en effet que «dans chaque région, et dans la collectivité territoriale de Corse, l’État confie la mise en œuvre de la surveillance prévue à l’article L. 221-2 [ou autrement dit, la surveillance de la qualité de l’air et de ses effets sur la santé et sur l’environnement] à un organisme agréé pour un ou des paramètres donnés de la qualité de l’air». Sur la base de cette disposition, le Gouvernement a ensuite adopté plusieurs arrêtés12 pour agréer des associations régionales de surveillance de la qualité de l’air.

En région Île-de-France, l’association Airparif13, chargée de la surveillance de la qualité de l’air ambiant dresse un inventaire tant des polluants atmosphériques que des gaz à effet de serre. Ce dispositif permet d’en connaître la répartition géographique et les sources. Airparif peut grâce à des outils de simulation informatique diffuser quotidiennement des informations sur la qualité de l’air et prévoir celle du lendemain ainsi que les épisodes de pollution. La diffusion de ces données ne permet pas uniquement d’informer les citoyens sur l’évolution de la qualité de l’air, elle est aussi utile pour les pouvoirs publics qui ont ainsi la possibilité de prendre les mesures nécessaires à la situation. Grâce à ces données favorisant la compréhension des phénomènes de pollution, il devient possible d’évaluer les politiques publiques visant à lutter contre ces derniers et les changements climatiques.

Par sa mission de surveillance, Airparif poursuit une action préventive tant sur le court terme par la prise de mesures visant à réduire les émissions responsables de la pollution au cours des épisodes identifiés, que sur le moyen terme en évaluant l’efficacité des dispositifs mis en place pour lutter contre ces phénomènes. Il apparaît ainsi que la diffusion de ces données relatives à la qualité de l’air ambiant, au-delà de l’aspect informationnel, peut permettre de contribuer à la reconnaissance d’un droit de vivre dans un environnement sain. La mission de surveillance de la qualité de l’air réalisée par Airparif le démontre aisément puisque les objectifs qui lui sont assignés relèvent de la Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Énergie du 30 décembre 1996 (loi LAURE). Cette loi est fondamentale dès lors qu’elle reconnaît «le droit à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé». D’une certaine manière, cette loi préfigure par conséquent les objectifs qui seront adoptés huit ans plus tard en France au niveau constitutionnel14 à travers l’adossement de Charte de l’environnement à la Constitution dont l’article 1er consacre le «droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé»15.

Pour autant, l’orientation retenue par le législateur français depuis la loi LAURE n’a pas toujours atteint son objectif. En effet, les pratiques menées par certaines collectivités ont révélé des paradoxes assez frappants. Celles-ci ont par exemple opté pour la suppression de la station d’Airparif sur leur territoire, et ce alors même qu’elles accordent une attention aux préoccupations environnementales.

À cet égard, il convient de faire référence à la fermeture le 17 juin 2013 de la station de mesure de la qualité de l’air d’Issy-les-Moulineaux ordonnée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, suite à la requête déposée par la Communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest16. La collectivité qui avait construit le local abritant cette station vingt auparavant met ainsi fin à l’activité de cette dernière et laisse ouverte la question de la mise en œuvre de la loi LAURE de 1996 précitée. Si la communauté d’agglomération a lors de sa requête exprimé le souhait de récupérer le local de 6 m2 qui abritait la station en invoquant sa volonté de réutiliser ce local pour une autre finalité, il semble que l’action de la collectivité soit davantage liée à l’image négative que pouvait véhiculer ce dispositif17 puisque le nom de cette dernière était associé au nombre de jours de pollution (24 jours en 2012, étant précisé que la station était implantée près du périphérique)18. Il faut souligner que cette fermeture est intervenue après que le département des Hauts-de-Seine, dans lequel est située la commune d’Issy-les-Moulineaux, a annoncé quelques mois plus tôt sa volonté de supprimer les 80000 € de subvention annuelle versés à l’association Airparif19.

Ce faisant, cette décision pose le problème de l’accès à l’information relative à la qualité de l’air dans une zone à forte densité de population. La suppression de l’une des plus anciennes stations d’Airparif ne rompt pas seulement un historique de données de plus de vingt ans. Elle prive surtout les habitants du sud-ouest de la petite couronne d’un suivi sur le long terme de la qualité de l’air dont les données étaient auparavant accessibles sur le site www.airparif.asso.fr, surtout que le remplacement d’une station peut prendre deux ou trois ans.20 À l’instar de Karine Léger, adjointe au directeur d’Airparif, on peut regretter que le jugement du tribunal administratif de Pontoise ait eu pour conséquence de faire «primer le droit des collectivités sur la loi sur l’air, selon laquelle la surveillance de la qualité de l’air est de la compétence d’organismes agréés qui n’ont réglementairement aucun pouvoir».21

L’action de la communauté aboutissant à la suppression d’une information environnementale qui était accessible en ligne au public laisse songeur, mais n’est malheureusement pas isolée dans le monde. Cet exemple montre surtout les limites de dispositions demandant aux États ou à une collectivité de diffuser l’information environnementale qu’ils détiennent. En effet, quelle portée donner à l’article 7 de la Charte de l’environnement qui a une valeur constitutionnelle et qui prévoit le droit pour toute personne d’accéder aux informations environnementales détenues par les autorités publiques lorsque ces dernières ont la possibilité de prendre des mesures pour restreindre cette information?

L’exemple précité d’Airparif montre le rôle des collectivités dans la diffusion des informations environnementales pourtant collectées par des associations. En l’espèce, la non-diffusion de l’information résulte d’une conséquence extérieure puisque celle-ci est liée à la décision d’une collectivité qui refuse que soit installée sur son territoire une station permettant de collecter l’information sur la qualité de l’air. Cette pratique montre les limites de la diffusion de l’information environnementale face au pouvoir politique qui reste décisionnaire en la matière. Elle se retrouve, malheureusement, dans de nombreux pays. En revanche, lorsque la volonté politique existe, la diffusion d’une information de qualité peut se développer, voire s’accélérer à la faveur de l’émergence de mouvements d’ouverture des gouvernements.

L’ouverture de l’information environnementale au cœur du processus des gouvernements ouverts : entre plans d’action ambitieux et mise en œuvre incertaine

Ces dernières années, l’accès à l’information environnementale a pris une nouvelle dimension avec le partenariat pour un gouvernement ouvert. Les États qui adhèrent à ce partenariat s’engagent à adopter des plans d’action nationaux dans lesquels ils prennent des engagements sur deux ans en matière d’ouverture de leur gouvernement. Or, plusieurs pays ont pris des engagements de nature environnementale. Certaines mesures ne concernaient pas spécifiquement le droit d’accès à l’information environnementale, mais avaient une portée plus globale. En ce sens, il est possible de mentionner le plan d’action 2013-2014 de la Bulgarie par lequel le Gouvernement s’est engagé à prendre des mesures pour accroître la responsabilité sociale des entreprises, en particulier en matière environnementale22.

Cependant, le plus souvent, les mesures environnementales contenues dans les plans d’action ont pour objectif de renforcer le droit d’accès à l’information environnementale. Par exemple, le plan d’action 2012 de la Corée du Sud prévoit d’augmenter le volume d’information gouvernementale disponible au public en matière d’environnement, mais aussi d’éducation et d’alimentation, et d’associer la société civile en amont du processus d’ouverture. L’objectif est de renforcer la pertinence des informations ouvertes en favorisant un dialogue entre le Gouvernement et la Société civile sur la nature des informations à ouvrir23. De même, la Mongolie s’est engagée dans son plan d’action 2014-2016 à publier la liste des informations publiques environnementales qui sont l’objet d’une publication obligatoire24. La publication de cette liste est un outil utile pour s’assurer du respect du droit à publication puisqu’en consultant ce document, le citoyen peut savoir plus facilement quelles sont les informations environnementales sur lesquelles il peut exercer son droit d’accès.

L’un des moyens de faciliter l’accès à l’information publique consiste à développer des portails d’open data. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater l’existence d’actions consacrées au développement de cet outil en matière environnementale.

Par exemple, l’Afrique du Sud a décidé dès son plan d’action 2013 de développer un portail intégré agrégeant toutes les informations environnementales détenues par le Gouvernement. Si les données environnementales étaient déjà disponibles, elles étaient accessibles, non pas de manière centralisée, mais à travers différents portails. Or, le gouvernement sud-africain a considéré qu’un accès centralisé à des données agrégées était nécessaire, non seulement pour permettre aux citoyens d’accéder à une information environnementale plus exhaustive, mais aussi pour mieux faire respecter les règles de régulation environnementale25.

En outre, au moins deux pays mettent leur plan d’action au service de la Convention d’Aarhus de 1998. Ainsi, le plan d’action 2014-2016 de l’Irlande entend améliorer la mise en œuvre de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information environnementale, que ce pays a ratifiée en 2012, en développant des modules de formation à destination des personnels des organismes publics chargés des questions environnementales. L’objectif est de permettre à ces personnels de mieux répondre aux demandes qui leur sont adressées par les citoyens irlandais exerçant leur droit d’accès à l’information environnementale au titre des articles 4 et 5 de la Convention d’Aarhus26. La Tunisie, quant à elle, s’est engagée à signer cette convention27, ce qu’elle n’avait toujours pas fait fin 201528.

Enfin, il importe de mentionner le cas particulier de la France qui a inscrit une partie de son premier plan d’action dans la perspective de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP 21/CMP11) organisée à Paris en décembre 201529. Dans cette perspective, le plan national de la France comprend une action prévoyant de promouvoir la transparence en matière d’agenda et de négociations de cette conférence et d’associer la société civile tant à la préparation qu’à la mise en œuvre de la COP 21. S’agissant de la mise en œuvre du droit d’accès, le plan d’action prévoit d’ouvrir des données et des modèles relatifs au climat, en amont de la conférence COP21. Il souligne que l’ouverture et la mise en commun de ces données et modèles pourront notamment servir à «éduquer et sensibiliser les citoyens sur les enjeux du climat, avec des “datavisualisations” qui permettront d’illustrer les grands défis du climat (utilisation par les journalistes…); outiller les argumentaires et les prises de position des représentants de la société civile; stimuler l’innovation économique et sociale et permettre à des acteurs tiers de proposer des solutions innovantes aux défis du climat.»30

Par cette mesure, la France s’inscrit dans une perspective de bonnes pratiques conformément à l’article 10 de la Charte de l’environnement de 2004 qui précise que ce texte «inspire l’action européenne et internationale de la France». En effet, le gouvernement français n’entend pas seulement «ouvrir et mettre à disposition en format ouvert sur la plateforme data.gouv.fr des données, modèles et simulateurs relatifs au climat, à la transition énergétique, au développement durable» ou «publier les données issues des études d’impacts réalisées par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie».31 Il souhaite plus largement encourager ses partenaires étrangers à procéder à une politique d’ouverture similaire en matière environnementale.32 Reste à savoir cependant si ces engagements seront réellement mis en œuvre, non seulement par la France, mais aussi par d’autres pays.

Face à ces incertitudes souvent liées aux volontés politiques des acteurs nationaux, il est nécessaire d’avoir une approche plus globale pour dépasser les obstacles qui peuvent exister. Autrement dit, il importe de dépasser les approches nationales en faveur d’une action concertée au plan international.

§ 2 – Diffuser les données d’intérêt général internationales en matière environnementale : de l’utilité d’une convention internationale

La diffusion de bonnes pratiques en matière de transparence environnementale ne peut suffire face aux enjeux du réchauffement climatique. Parce qu’il s’agit d’une problématique globale aux conséquences mondiales, il est nécessaire de dépasser le cadre des seules actions nationales et d’envisager au contraire un instrument juridique destiné à s’appliquer sinon à l’ensemble des États dans le monde, à tout le moins au plus grand nombre d’entre eux. Dans cette perspective, il pourrait être envisagé la création d’une nouvelle catégorie juridique de données, destinées à être ouvertes par l’ensemble des pays pour contribuer notamment à la maîtrise des enjeux climatiques et environnementaux.

A) Les données d’intérêt général international : une nouvelle catégorie de données ouvertes à définir

Le climat et l’environnement sont par essence des phénomènes naturels dont les enjeux dépassent le seul cadre national33. De même que le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté à la frontière française contrairement aux affirmations formulées à cette époque par les autorités publiques de ce pays,34 il est désormais admis que le réchauffement climatique s’explique par des facteurs multiples et surtout internationaux. Pour lutter contre cette évolution, il est tout aussi important de lutter contre la pollution atmosphérique à Paris, New Delhi, Pékin, Washington ou Mexico que de faire face à la déforestation de l’Amazonie, ou encore de suivre la fonte de la banquise ou l’évolution de la montée des océans.

Parce qu’il est susceptible de faire naître de nouveaux conflits entre les pays35, le réchauffement climatique soulève des enjeux géopolitiques36 qui appellent une nouvelle régulation internationale. La complexité de la lutte contre le réchauffement climatique implique d’envisager une régulation multidimensionnelle de l’écosystème qu’est la Terre. Cette régulation n’est pas seulement de nature environnementale. Elle est aussi économique, institutionnelle ou juridique. En outre, à l’heure de la société de l’information, cette régulation ne peut se faire sans intégrer la question de la gestion de l’information environnementale.

Dès lors, l’un des objectifs de cet article est de s’interroger sur la possibilité de renouveler la régulation juridique de l’information environnementale et climatique. Pour ce faire, plusieurs possibilités pouvaient être envisagées, et en particulier celle d’appréhender cette question sous l’angle de la problématique des biens communs, également appelés communs. Cependant, cette recherche envisage une autre option à travers la création d’une nouvelle catégorie juridique de données, qui pourraient être dénommées «données d’intérêt international».

La régulation de l’accès à l’information environnementale étudiée sous l’angle de la théorie des communs : une approche non retenue

En effet, la révolution numérique a fait renaître un intérêt pour l’analyse des communs et leur impact sur nos modèles économiques et politiques. Les travaux de Elinor Ostrom37 sur les communs, grâce auxquels elle a obtenu le prix Nobel de l’économie en 200938, ont donné une clé de lecture autre de la «tragédie des communs» de Garret Hardin39 et également favorisé un regain d’intérêt pour cette théorie.

Les experts des enjeux climatiques n’ont pas échappé à cette appétence pour la théorie des communs. En ce sens, il est possible de souligner, parmi différents exemples, le lien que les organisateurs d’un sommet en marge de la conférence de Rio+20 ont établi dès 2012 entre environnement et protection des biens communs, même s’il s’agissait alors essentiellement de dénoncer la marchandisation de la société. Les signataires de la déclaration finale de ce sommet des peuples entendaient selon leurs termes mettre fin à un modèle «séquestrant les biens communs de l’humanité» «contre les droits des peuples, la démocratie et la nature»40, mais sans en préciser les modalités. Tout au plus faisaient-ils savoir que «les peuples veulent déterminer pour quoi et pour qui sont destinés les biens communs et énergétiques, en plus d’assumer le contrôle populaire et démocratique de sa production.»41 Si la nécessité d’associer les peuples au contrôle de la politique environnementale pour la rendre plus efficace était affirmée, aucun lien n’avait cependant été établi entre biens communs et régulation de l’information juridique dans ce domaine.

Pourtant, il ne fait pas de doute que l’articulation entre ces deux problématiques existe. Comment assurer un contrôle effectif des peuples aux politiques de lutte contre le réchauffement climatique ou de préservation de l’environnement si les populations n’ont pas accès à une information exhaustive et sincère? Or, cette transparence de l’information environnementale n’existe pas toujours, car l’accès à cette dernière se heurte désormais à une forme d’enclosure. Pourtant, c’est justement pour lutter contre les enclosures que la notion de biens communs a émergé. Certes, il ne s’agit plus, dans notre hypothèse, de former des enclos autour des prairies communales pour empêcher les paysans d’y amener paître leurs bêtes comme le firent les propriétaires terriens du XIIIe au XVIIIe siècle42. L’enclos est désormais immatériel, la finalité étant dans ce cas d’empêcher l’accès des populations concernées à l’information pertinente environnementale. Pour reprendre l’exemple précédent, la non-diffusion de l’information du fait de ces enclosures immatérielles présente le risque de laisser paître ces bêtes dans des sols contaminés. Dans une telle hypothèse, l’enclosure immatérielle se manifeste donc par une absence d’information à la population sur la contamination des sols, de peur de sa réaction, alors que l’on pourrait considérer qu’une telle information relève du bien commun. Au contraire, une meilleure circulation de l’information environnementale, en œuvrant notamment à l’édification d’un cadre juridique favorable à l’ouverture de cette information, permettrait de lever ces enclos immatériels.

La régulation de l’accès à l’information environnementale étudiée sous l’angle de la création de données d’intérêt international : une démarche ambitieuse

Le lien entre biens communs et régulation juridique est désormais établi. Pourtant, c’est sur un autre terrain qu’il nous semble plus légitime de prévoir une nouvelle régulation juridique de l’information environnementale. En effet, les données concernées par cette nouvelle forme d’enclosure nous paraissent moins relever des biens communs que de l’intérêt général international.

Certes, la problématique de l’environnement fait penser aux communs. Les forêts, les lacs, les océans, les réseaux hydrauliques, l’atmosphère sont par définition des communs, puisqu’ils appartiennent en soit à personne. Tout au plus peut-on évoquer le droit territorial des États en la matière, mais nul ne pourrait en revanche se prévaloir d’un droit de propriété par exemple sur les gouttes d’eau qui circulent dans un fleuve, sur les courants marins d’un océan, ou encore sur les particules d’oxygène qui composent l’atmosphère, car ce sont des phénomènes naturels transfrontaliers. Cependant, s’agissant de l’information environnementale et climatique, la question est différente puisque celle-ci est le fruit d’un travail pouvant être clairement identifié, et le plus souvent réalisé par des chercheurs rattachés à de grands organismes d’État. Ce sont donc bien ceux qui collectent l’information qui la possèdent et qui peuvent décider ou non de la diffuser. Dès lors, l’information environnementale ne relève plus de la problématique des communs.

Est-ce à dire que ceux qui possèdent l’information environnementale disposent du pouvoir de décider ou non de sa diffusion? En théorie, celui qui a collecté cette information dispose du pouvoir de l’ouvrir ou non, et d’autoriser ou non sa réutilisation. Ils n’auront d’obligation de permettre l’accès à cette information que si un cadre juridique le prévoit. Or, lorsque des textes juridiques existent en matière d’ouverture d’information, ils ne sont pas toujours suffisants. Par exemple, en Europe, la directive sur le secteur public de l’information incite les États à permettre la réutilisation des données publiques, mais l’accès à ces dernières reste de la compétence des États membres, de sorte que ces derniers peuvent avoir une politique restrictive en la matière. En ce qui concerne l’accès à l’information environnementale, des dispositifs juridiques existent, mais ils ont souvent une portée géographique limitée. Par exemple, la convention d’Aarhus43 ne compte que 39 signataires44, tous européens. Ce texte a d’ailleurs été transposé au sein de l’Union européenne par la directive 2003/4/CE45. À ce texte, il faut ajouter la directive Inspire de 2007 qui favorise l’ouverture de l’information géographique au sein de l’Union européenne46, et qui n’est pas sans lien avec les enjeux climatiques internationaux47.

Cependant, les enjeux relatifs à la circulation de l’information environnementale sont tels qu’il est nécessaire d’envisager un cadre juridique obligeant les États à ouvrir ces données, afin notamment de mieux lutter contre le réchauffement climatique, de mieux anticiper les catastrophes naturelles ou encore de mieux prévenir les risques sanitaires liés à l’environnement. Pour ces raisons, c’est sur un autre terrain que nous souhaitons nous placer pour favoriser l’ouverture des données environnementales : celui d’une nouvelle catégorie de données, qui pourraient être qualifiées d’intérêt international. En effet, certaines données n’intéressent pas uniquement un seul pays, mais ont un impact international. Ces données concernent par exemple les forêts, les océans, la pollution, l’alimentation (OGM), mais aussi les transactions financières internationales. Parce que ces données ont un impact international, leur absence d’ouverture ne pénalise pas seulement les populations locales. Les répercussions sont globales. Autrement dit, lorsqu’un État n’ouvre pas de telles données, les conséquences s’étendent au plan international. C’est pour ces raisons qu’il est nécessaire d’inciter, sinon d’obliger les États à ouvrir au monde entier ces données d’intérêt international pour permettre aux chercheurs et aux experts de mieux analyser les phénomènes globaux, qui par définition ne pourront pas être aussi bien compris si plusieurs États empêchent l’accès à l’information qui concerne leur territoire. La même question se pose aussi pour les grands groupes industriels dont l’activité impacte aussi l’environnement et le climat48.

Les modalités d’ouverture des données d’intérêt général : un cadre juridique à construire

L’édification de ce nouveau cadre juridique favorable à l’ouverture des données environnementales soulève au moins deux questions juridiques portant sur le champ d’application et la nature de l’instrument juridique à retenir.

1) Les données d’intérêt général, un champ d’application à définir

La première interrogation, relative au champ d’application, vise notamment à définir précisément la notion de données d’intérêt international.

Avant tout, il importe de préciser que si, dans cet article, ce terme est employé au regard du contexte de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de l’environnement, l’intérêt de ce concept dépasse cependant ces seuls enjeux. Par conséquent, la nouvelle catégorie juridique de données d’intérêt général pourrait ne pas concerner uniquement les données environnementales, mais être également étendue à d’autres secteurs, comme celui de la santé par exemple. Autrement dit, à travers cet article sur les données relatives au climat et à l’environnement, l’objectif consiste à étudier un nouveau régime juridique de données susceptible de répondre plus largement à la problématique du droit d’accès aux données présentant des enjeux internationaux.

La volonté de créer ce nouveau régime juridique s’inscrit dans le postulat que les États ont l’obligation non seulement d’informer les instances internationales, mais aussi leurs populations de l’existence de risques sanitaires qui peuvent exister. Cette nouvelle catégorie juridique de données d’intérêt général pourrait permettre d’obliger les États à ouvrir certaines données relatives aux transactions financières afin de lutter contre la corruption. Ces exemples ne sont pas exhaustifs, mais permettent de montrer que la création de la nouvelle catégorie juridique de données d’intérêt international ne saurait, à terme, se limiter à la sphère climatique.

Cette précision faite, il convient de définir la notion de données environnementales d’intérêt international pour comprendre quelles sont les informations que les États devraient ouvrir, étant précisé qu’en la matière, un cadre juridique existe déjà, même s’il ne s’applique qu’à un nombre restreint de pays.

La nouvelle catégorie juridique de données d’intérêt international devrait donc, au moins en matière environnementale, s’appuyer sur l’existant. Plus précisément, il est possible de se référer au droit de l’Union européenne, puisque comme expliqué précédemment, les États membres ont déjà l’obligation de permettre l’accès à certaines données environnementales ou en lien avec ces dernières.

Selon la Convention d’Aarhus, les États membres ont l’obligation de permettre au public l’accès aux informations environnementales sans avoir à justifier d’un intérêt particulier49. Cette absence de justification doit être conservée, car elle permet d’éviter tout obstacle qui pourrait permettre à un gouvernement l’accès à des données au motif que celui-ci n’est pas suffisamment justifié. En outre, la Convention d’Aarhus présente l’avantage de définir précisément la notion d’information environnementale. Il s’agit, selon ce texte de :

«toute information disponible sous forme écrite, visuelle, orale ou électronique ou sous toute autre forme matérielle, et portant sur :

a) L’état d’éléments de l’environnement tels que l’air et l’atmosphère, l’eau, le sol, les terres, le paysage et les sites naturels, la diversité biologique et ses composantes, y compris les organismes génétiquement modifiés, et l’interaction entre ces éléments;

b) Des facteurs tels que les substances, l’énergie, le bruit et les rayonnements et des activités ou mesures, y compris des mesures administratives, des accords relatifs à l’environnement, des politiques, lois, plans et programmes qui ont, ou risquent d’avoir, des incidences sur les éléments de l’environnement relevant de l’alinéa a) ci-dessus et l’analyse coût-avantages et les autres analyses et hypothèses économiques utilisées dans le processus décisionnel en matière d’environnement;

c) L’état de santé de l’homme, sa sécurité et ses conditions de vie ainsi que l’état des sites culturels et des constructions dans la mesure où ils sont, ou risquent d’être, altérés par l’état des éléments de l’environnement ou, par l’intermédiaire de ces éléments, par les facteurs, activités ou mesures visés à l’alinéa b) ci-dessus.»50

Outre ces informations prévues par la Convention d’Aarhus, devraient être ajoutées à la nouvelle catégorie juridique d’information environnementale d’intérêt international les données géographiques prévues par la directive Inspire, ou autrement dit «toute donnée faisant directement ou indirectement référence à un lieu ou une zone géographique spécifique».51 Ces données ne sont certes pas de nature environnementale en soit, mais leur ouverture est nécessaire pour une bonne compréhension des enjeux climatiques et environnementaux internationaux. Il s’agit donc de données présentant un intérêt environnemental et climatique par ricochet.

Enfin, devraient aussi être ouvertes d’autres données présentant également un intérêt dans la lutte contre les enjeux climatiques et internationaux comme les données météorologiques. À ce sujet, la publication par la Banque mondiale de cartes interactives réalisées à partir de données climatiques collectées52 démontre précisément l’utilité de l’ouverture de ces données et le lien entre météorologie, climat et environnement qui est désormais établi et accepté de tous, ou presque53.

La nouvelle catégorie juridique de données environnementales d’intérêt international ne devrait donc pas reprendre uniquement l’existant, mais s’ouvrir aussi à de nouvelles données non envisagées par les conventions ou directives sur l’accès du public à l’information. Plus largement, l’objectif est d’accueillir dans cette nouvelle catégorie juridique l’ensemble des données ayant une incidence sur le climat ou sur la protection de l’environnement. Par conséquent, cette nouvelle catégorie juridique de données n’a pas vocation à être fermée, mais au contraire à pouvoir permettre l’intégration à venir de toutes données de cette nature. Selon la même logique, il semble important de ne pas limiter l’obligation d’informer aux seules données publiques, mais au contraire d’y inclure les données privées, en particulier celles des grands groupes industriels dont l’activité se répercute sur l’environnement et le climat. Sont notamment visées les activités industrielles source de pollution, mais plus largement l’ensemble des activités impactant l’environnement et le climat, comme la coupe de bois. Les grandes entreprises, dont le seuil est à définir, auraient alors l’obligation de fournir certaines informations sur l’intensité de leur activité, car cette dernière se répercute sur l’environnement et le climat. Ces informations pourraient consister par exemple à préciser la zone de coupe de bois ou le nombre d’arbres abattus, notamment dans des endroits sensibles comme la forêt amazonienne; le nombre de litres de pétrole puisé et la localisation des puits; le nombre de navires appareillés, car le trafic maritime n’est pas sans lien avec la maîtrise des enjeux climatiques, etc. Toutes ces informations seraient collectées sous réserve du secret du monde des affaires sous le contrôle des États, au moins dans un premier temps, eux-mêmes étant contrôlés par une organisation internationale à définir.

La perspective envisagée à travers cette nouvelle notion d’intérêt international est donc large et vise à favoriser la circulation de l’information environnementale et climatique seule à même de permettre, à l’heure de la société de l’information, une compréhension réelle de ces phénomènes globaux. Aussi, une future convention internationale pourrait prévoir l’article suivant :

«Les données d’intérêt international regroupent les données publiques et privées dont la diffusion présente un intérêt dépassant le cadre national ou local. En matière environnementale, ces données portent notamment sur [celles mentionnées dans la convention d’Aarhus et la directive Inspire]54 ou relatives à la météorologie et au climat. Ces données sont téléchargées par les États et les entreprises concernées sur la plateforme d’accès à l’information environnementale et climatique et sont réutilisables gratuitement et librement».

2) Les données d’intérêt général, une consistance juridique à préciser

Le deuxième axe de réflexion porte sur l’instrument juridique le plus approprié pour donner une consistance juridique à cette nouvelle catégorie juridique.

Comme expliqué précédemment, des fondements existent dans des conventions internationales telles que la convention d’Aarhus, la Convention du Conseil de l’Europe, la Déclaration sur l’Ouverture parlementaire. Il est donc possible de s’appuyer sur ce cadre juridique existant.

Au niveau européen, la création de la nouvelle catégorie juridique de donnée d’intérêt international (européen dans ce cas) pourrait être facilitée puisque cette intégration pourrait être envisagée sous deux angles, avec des conséquences juridiques différentes. Une première solution serait d’accueillir la nouvelle catégorie juridique de données dans le cadre de la directive 2003/4/CE55 dédiée à l’accès à l’information environnementale et dont l’objectif initial était de transposer la convention d’Aarhus. La directive serait donc révisée pour intégrer cette nouvelle catégorie de données, limitée cependant à la sphère environnementale puisque c’est l’objet de ce texte. Une autre solution serait d’accueillir cette nouvelle catégorie de données dans la directive sur le secteur public de l’information si l’on souhaite donner une dimension plus large à ce nouveau concept.

Cependant, toute l’utilité de la création de cette nouvelle catégorie juridique est de ne pas la limiter à un champ géographique, mais au contraire de favoriser sa diffusion au plus grand nombre de pays. Deux solutions sont à envisager dans cette hypothèse : soit inciter de nouveaux États à signer la convention d’Aarhus, soit envisager une nouvelle convention internationale spécifique à cette nouvelle catégorie juridique de données. Cette dernière hypothèse aurait aussi l’avantage de ne pas limiter les données d’intérêt général au domaine environnemental et climatique, mais de les ouvrir à d’autres enjeux, dont celui des politiques sanitaires ou de santé ou encore celui de la transparence financière et de la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale.

L’élaboration d’un tel instrument international n’est cependant pas sans poser des difficultés. Il s’agit en particulier de faire accepter ce texte à des pays qui n’ont pas l’intention de reconnaître un droit d’accès à l’information publique, qu’elle soit de nature environnementale ou non. En la matière, les difficultés d’acceptation de ce nouvel instrument international viseraient moins les États qui ouvrent déjà leurs données que ceux qui ont fait le choix de conserver secrètes certaines de leurs données, y compris en matière environnementale. Il ne fait donc pas de doute que l’élaboration d’un instrument international représente un challenge plus difficile que le choix d’un instrument régional comme celui d’une directive européenne. La difficulté est d’autant plus grande qu’un instrument international n’aurait de réelle utilité que s’il est signé et ratifié par le plus grand nombre de pays, y compris par les États les moins respectueux de l’environnement et qui n’ont donc aucun intérêt à publier de telles informations. La signature d’un tel instrument international ne peut donc s’envisager qu’à moyen ou long terme : elle dépend du jeu des pressions internationales et/ou d’une réelle prise de conscience par les États du monde entier de l’utilité d’accéder à ces données d’intérêt international pour lutter contre le réchauffement climatique.

Cependant, il ne suffit pas d’inciter les États à adopter ce nouvel instrument international. Il est tout aussi nécessaire d’assurer l’application effective de ce dernier. Autrement dit, quand bien même cet instrument international serait adopté, se pose la question de son effectivité, qui constitue un autre challenge.


1 Organisation mondiale de la Santé, Appel de l’OMS en faveur d’une intervention d’urgence pour protéger la santé face au changement climatique. Vers la Conférence annuelle des Parties – COP21 :

http://www.who.int/globalchange/global-campaign/cop21/fr/ (consulté le 2 décembre 2015).

2 Cet article est issu d’une intervention prononcée conjointement par Irène Bouhadana et William Gilles lors du colloque international «L’impact de la transparence sur les enjeux climatiques internationaux», 8 décembre 2015. Colloque ayant reçu le label de la COP 21 (Sommet de Paris 2015) et organisé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

3 Tryckfrihetsförordning du 2 décembre 1766 (loi suédoise fondamentale du 2 décembre 1766 sur la Liberté presse).

Sur ce sujet, voir aussi G. Langrod, «Vie administrative à l’étranger : Essai de conciliation en Suède du libre accès aux dossiers administratifs et de l’existence des “banques des données”», La Revue administrative, n° 157, 1974; ou encore B. Cottier, La publicité des documents administratifs : étude de droit suédois et suisse, Droz (Genève), 1982.

4 Sur cette loi, voir, par exemple, H. Foerstel, Freedom of Information and the Right to Know: The Origins and Applications of the Freedom of Information Act, Greenwood Press, 1999.

5 S’agissant de la France, il importe toutefois de souligner que les révolutionnaires ont, dès 1789, reconnu la nécessité de favoriser l’accès à l’information publique, en soulignant, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, d’une part, le droit de «tous les Citoyens […] de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique […]» (article 14) et d’autre part, le droit de «la Société [à] demander compte à tout Agent public de son administration», deux droits dont la mise en œuvre supposent de garantir un droit d’accès à l’information publique.

6 Cf. The National Academy Presses, On the Full and Open Exchange of Scientific, 4 mars 1995.

7 Déclaration de Sebastopol (California), Eight principles of open government data, 7-8 décembre 2007.

8 Sur ce texte, cf. par exemple, M. Prieur, «La Convention d’Aarhus, instrument universel de la démocratie environnementale», Revue Juridique de l’Environnement, 1999, Vol. 24, n° 1; B. Drobenko, «La Convention d’Aarhus et le droit français», Revue Juridique de l’Environnement, 1999, Vol. 24, n° 1; J.-P. Marguénaud, «La Convention d’Aarhus et la Convention européenne des droits de l’homme», Revue Juridique de l’Environnement, 1999, Vol. 24, n° 1. Voir également I. Bouhadana, «The right of Access to Public Information: An Analysis of International Conventions», Revue internationale des Gouvernements ouverts, Vol. 1, 2015.

9 Directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public.

10 Directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public.

11 Ces associations veillant à la mise en œuvre de la surveillance et à l’information du public sur la qualité de l’air ambiant en région, appartiennent à un réseau national, appelé Fédération des Associations de Surveillance de la Qualité de l’Air (ATMO France), dont la mission est de coordonner, mutualiser et valoriser les travaux des associations régionales et de les représenter dans les instances nationales et européennes. Cf. http://www.atmo-france.org/.

12 Par exemple, l’arrêté du 14 janvier 2014 portant agrément d’une association de surveillance de la qualité de l’air au titre du code de l’environnement (livre II, titre II) agrée l’association de surveillance de la qualité de l’air AIRPARIF au titre de l’article L. 221-3 du Code de l’environnement, pour une durée de trois ans à compter du 24 octobre 2013 et pour la région Ile-de-France. L’arrêté du 1er janvier 2015 portant agrément d’une association de surveillance de la qualité de l’air au titre du code de l’environnement (livre II, titre II) fait de même pour l’association de surveillance de la qualité de l’air «AIR RHÔNE-ALPES pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2015 et pour la région Rhône-Alpes. L’arrêté du 2 mars 2015 portant prolongation d’agrément d’une association de surveillance de la qualité de l’air au titre du code de l’environnement (livre II, titre II) agrée, quant à lui, l’association de surveillance de la qualité de l’air “AIR PACA” pour une durée de 3 ans à compter du 9 mars 2015 pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, etc.

13 Sur cette association de type loi de 1901, voir : https://www.airparif.asso.fr/.

14 Cependant, l’adossement de cette charte à la Constitution ne fut pas sans poser un débat sur sa portée réelle. Cf. par exemple M. Prieur, «La charte de l’environnement : droit dur ou gadget politique?», Pouvoirs, 2008/4, n° 127; A. Capitani, «La Charte de l’environnement, un leurre constitutionnel?», Revue française de droit constitutionnel, 3/2005, n° 63.

15 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.

16 Voir Airparif, «Station de mesure d’Issy-les-Moulineaux (Hauts de Seine) : Airparif expulsée», Communiqué de Presse, 17 Juin 2013.

17 Cf. V. Laramée de Tannenberg, «Airparif expulsé d’Issy-les-Moulineaux», Journal de l’environnement, 17 juin 2013 :

http://www.journaldelenvironnement.net/article/airparif-expulsee-d-issy-les-moulineaux, 35153.

18 Cf. Le Parisien, «Le capteur d’Airparif expulsé», Le Parisien, 18 juin 2013 : http://www.leparisien.fr/espace-premium/hauts-de-seine-92/le-capteur-d-airparif-expulse-18-06-2013-2905737.php#xtref.

19 Cf. V. Laramée de Tannenberg, Santé : les incohérences de Devedjian, Journal de l’environnement, 1er février 2013 : http://www.journaldelenvironnement.net/article/sante-les-incoherences-de-devedjian, 32912.

20 Cf. V. Laramée de Tannenberg, «Airparif expulsé d’Issy-les-Moulineaux», Journal de l’environnement, 17 juin 2013 :

http://www.journaldelenvironnement.net/article/airparif-expulsee-d-issy-les-moulineaux, 35153.

21 Ibidem.

22 Pour ce faire, le plan d’action 2013-2014 entend encourager l’intégration des outils environnementaux préventifs dans les politiques d’entreprises. Cf. Republic of Bulgaria, Global Open Government Partnership Initiative. Action Plan of the Republic of Bulgaria, 2012, accessible à:

https://www.opengovpartnership.org/country/bulgaria/action-plan

23 Republic of Korea, National Action Plan: 2012-2013, 2012, accessible à:

https://www.opengovpartnership.org/country/south-korea/action-plan.

24 Government of Mongolia, National Action Plan of Government of Mongolia on Open Government Partnership: 2014-2016, 2013, accessible à:

https://www.opengovpartnership.org/sites/default/files/OGP_CAP_Launch.pdf.

25 Republic of South Africa, The 2nd South African Open Government Partnership Country Action Plan: 2013-2015, accessible à:

https://www.opengovpartnership.org/sites/default/files/OPG%20booklet%20final%20single%20pages.pdf.

26 Republic of Ireland, Department of Public Expenditure and Reform, Open Government Partnership Ireland National Action Plan: 2014 - 2016, décembre 2013, accessible à : https://www.opengovpartnership.org/sites/default/files/OGP%20National%20Action%20Plan.pd.

27 Republic of Tunisia, Presidency of the Government, Secretariat of State in charge of Governance and Civil Service, National OGP Action Plan, septembre 2014, accessible à: https://www.opengovpartnership.org/sites/default/files/Tunisia%20OGP%20NAP_0.pdf.

28 Sur ce point, UNECE, Aarhus Convention. Parties to the Aarhus Convention and their dates of ratification, accessible à: http://www.unece.org/env/pp/aarhus/map.html.

Voir également la liste des signataires sur le site Internet de la Convention d’Aarhus :

https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVII-13&chapter=27&clang=_en.

29 À propos de cette conférence, cf. le site Internet dédié :

http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/cop21/.

30 République française, Pour une action publique transparente et collaborative, Plan d’action national pour la France (2015-2017) dans le cadre du partenariat pour les gouvernements ouverts, engagement n° 25.

31 Ibidem.

32 Ibidem

33 Cf. par exemple, M. Tabeaud, «Les territoires face au changement climatique», Annales des Mines - Responsabilité et environnement, 4/2009, n° 56.

34 Par exemple, voir B. Lerouge, Tchernobyl, un nuage passe… Les faits et les controverses, L’Harmattan, 2008, p. 14.

35 A. Schneider, Ph. Tourtelier, L’impact du changement climatique en matière de sécurité et de défense, Rapport d’information déposé par la Commission des affaires européennes, Assemblée nationale, 28 février 2012.

36 F. Gemenne, Géopolitique du changement climatique, Armand Colin, 2009.

37 E. Ostrom, Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action (Political Economy of Institutions and Decisions), Cambridge University Press, 1990. Sur une analyse des travaux de E. Ostrom, cf. par exemple, O. Weinstein, «Comment comprendre les “communs” : Elinor Ostrom, la propriété et la nouvelle économie institutionnelle», Revue de la régulation, Autumn 2013, disponible à : http://regulation.revues.org/10452; G. Holland, O. Sene, «Elinor Ostrom et la gouvernance économique», Revue d’économie politique, 3/2010, Vol. 120.

38 À ce sujet, voir E. Ostrom, Beyond Markets and States: Polycentric Governance of Complex Economic Systems, Conférence donnée à l’occasion de la cérémonie de remise du prix Nobel, 8 décembre 2009, disponible à :

http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/economic-sciences/laureates/2009/ostrom_lecture.pdf

39 G. Hardin expose la «tragédie des communs» en ces termes :

«The tragedy of the commons develops in this way. Picture a pasture open to all. It is to be expected that each herdsman will try to keep as many cattle as possible on the commons. Such an arrangement may work reasonably satisfactorily for centuries because tribal wars, poaching, and disease keep the numbers of both man and beast well below the carrying capacity of the land. Finally, however, comes the day of reckoning, that is, the day when the long-desired goal of social stability becomes a reality. At this point, the inherent logic of the commons remorselessly generates tragedy.

As a rational being, each herdsman seeks to maximize his gain. Explicitly or implicitly, more or less consciously, he asks, "What is the utility to me of adding one more animal to my herd?" This utility has one negative and one positive component.»

G. Hardin, «The Tragedy of the Commons», Science, 13 décembre 1968, Vol. 162, n° 3859, pp. 1243-1248.

40 Cf. Sommet des Peuples pour la Justice Sociale et Environnementale, pour la défense des biens communs et contre la marchandisation de la vie, Déclaration finale, Rio de Janeiro, 15 au 22 juin 2012.

41 Ibidem.

42 V. Peugeot, «Biens communs et numérique : l’alliance transformatrice», in L. Calderann, P. Laurent, H. Lowinger et J. Millet, Le document numérique à l’heure du web, ADBS, pp.141-154, 2012 <hal-00843803>.

43 Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, dite Convention d’Aarhus (Danemark), 25 juin 1998.

44 La liste des signataires de la Convention d’Aarhus est accessible sur la page Internet suivante :

https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVII-13&chapter=27&lang=en#1.

45 Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil.

46 Directive INSPIRE est la directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d’information géographique dans la Communauté européenne (INSPIRE).

47 Ce lien est rappelé dans la suite du développement.

48 Ce point sera développé ultérieurement.

49 Article 4 de la Convention d’Aarhus.

50 Article 2 de la Convention d’Aarhus.

51 Directive INSPIRE est la directive 2007/2/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2007 établissant une infrastructure d’information géographique dans la Communauté européenne (INSPIRE).

52 Banque mondiale, Les données climatiques sous un nouveau jour, 13 janvier 2012 : http://donnees.banquemondiale.org/actualites/les-donnees-climatiques-sous-nouveau-jour.

53 En contre-exemple, il est possible de citer M. Verdier, ancien chef du service météorologie de France 2. Ce dernier a d’ailleurs été licencié par son employeur pour avoir publié un ouvrage (M. Verdier, Climat investigation, RING, octobre 2015) remettant en cause le consensus des scientifiques sur le réchauffement climatique et s’attaquant au sommet de la COP21. Cf. notamment A. Piquard, «Le “M. Météo” de France 2 annonce son licenciement», Le Monde, 11 novembre 2015 :

http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/11/01/le-m-meteo-de-france-2-annonce-son-licenciement_4800951_3236.html#8RLZe2K1zJDvUcyT.99.

54 Dans un souci de clarté et pour faciliter la lecture et la compréhension de cet article, les auteurs ont décidé de retenir une rédaction par renvoi externe à la convention d’Aarhus et à la directive Inspire, et non de reproduire l’ensemble des données mentionnées par ces deux textes. Un futur texte pourrait bien entendu procéder autrement en listant l’ensemble des informations entrant dans le champ de la nouvelle catégorie juridique de donnée sans procéder à ce renvoi externe.

55 Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil.