Quel régime juridique pour les Initial Coin Offering ?
par Léo WADA, docteur en
droit, ATER, Université
Paris XII, France.
Au XVIe siècle, les conquistadors
Espagnols espéraient trouver de l’or en Amérique du Sud à la recherche de
l’Eldorado.
Ces conquêtes et ces espérances sont aujourd’hui
numériques et nombreux sont ceux qui sont attirés par les promesses des Initial
Coin Offering (ICO) ;
elles ont connu un développement considérable ces dernières années.
Une Initial Coin Offering est une levée de fond participative en
cryptomonnaies. Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), ce « sont
des opérations de levées de fonds effectuées à travers une technologie de
registre distribué (DLT) qui donnent lieu à une émission de jetons (tokens) »[1].
Les ICO permettent à des entreprises de
trouver rapidement des financements sans passer par le crowfunding, le capital-risque ou la vente d’actions. Lors
d’une ICO, elles émettent des actifs numériques échangeables contre des cryptomonnaies
durant la phase de démarrage d’un projet.
Les actifs numériques sont donc appelés des tokens et les
ICO sont des ventes de tokens (token sales) en vue de financer un
projet donné.
Les cryptomonnaies sont des monnaies virtuelles, des
unités de comptes utilisables sur un réseau informatique décentralisé, de pair
à pair fondé sur les principes du codage cryptographique :
la technologie blockchain. Selon Blockchain France, c’est une technologie de
stockage et de transmission d’informations,
transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe de contrôle[2].
Celle-ci fonctionne grâce à une monnaie ou un token (jeton) programmable comme le
Bitcoin.
On parle alors de la « tokenisation » des
entreprises puisqu’une entreprise va mettre en vente
un token adossé sur un protocole
blockchain. En monétique, la tokenisation est le
processus qui permet d’échanger les moyens de paiement traditionnels contre des
jetons. On échange une donnée sensible comme le numéro de notre carte bleue contre un autre numéro cryptographié
(généralement à usage unique) afin de limiter la fraude, de sécuriser et de
diversifier les modes de paiement. Cette tokenisation prend aussi la forme d’un
jeton de sécurité : un petit gadget électronique
facilement transportable qui agit comme une clé pour prouver son identité. Les
grands émetteurs de cartes comme Visa intègrent ces
jetons dans leurs wallets (portefeuilles
électroniques).
Dans l’univers des
cryptomonnaies, la tokenisation permet d’échanger des cryptomonnaies existantes
avec la cryptomonnaie qui sera utilisée sur la blockchain du nouveau projet.
À cette fin, les entreprises vendent leur
propre cryptomonnaie. Elles garantissent la rareté et l’exclusivité de cette création (Initial offering). Le prix de vente du token est
généralement faible durant ces levées de fonds afin d’attirer les
investisseurs.
Les ICO offrent la possibilité aux entreprises de
financer un programme, souvent au stade embryonnaire.
La pratique intéresse généralement les start-ups spécialisées dans les
nouvelles technologies même si les grandes entreprises comme Kodak ou Auplata
ont lancé un projet en ce sens. Les entreprises jouent
aussi sur l’effet viral de réseau et la croyance des investisseurs dans le
projet (une majorité de particuliers d’ailleurs).
Les ICO sont donc le versant numérique des IPO (Initial Public Offering : mise en bourse).
Le plus utilisé des jetons est
le token ERC20 (qui correspond à un
standard) basé sur la blockchain Ethereum (la première blockchain à avoir lancé
son ICO en 2014). Les ICO ont lieu en grande partie sur ce
même protocole.
Le token a
vocation à être échangé sur les plateformes d’échange des cryptomonnaies ; leur valeur dépendra
donc de l’offre et de la demande et de l’usage qui est fait du protocole ainsi
que de son succès.
À l’inverse d’une action, il est
très difficile de savoir ce que représente un token. Est-ce seulement un droit d’usage au service ?
Les titres financiers sont définis depuis une ordonnance
du 8 janvier 2009 à l’article L. 211-1 II du code monétaire et financier.
On y retrouve les titres de capital émis par les sociétés par actions, les
titres de créance et les parts ou actions d’organismes
de placement collectif. Les tokens se
transmettent aussi de compte à compte de manière simplifiée, mais ne peuvent
faire l’objet d’un nantissement sur le compte numérique sur lequel ils sont inscrits. Par ailleurs, les émetteurs de tokens ne sont généralement pas des
personnes morales et n’ont donc pas de capital social.
Un token
pourrait s’apparenter à une action (article L. 228-1 du code monétaire et
financier) en ce qu’il constituerait une fraction du
capital social avec un droit de l’associé dans la société. Le token est un
bien meuble incorporel représenté par sa valeur nominale. L’acheteur se charge
lui-même de la gestion de ce dernier, ce qui renvoie à
des titres nominatifs purs (que l’on appellerait plutôt titres
cryptographiques). Néanmoins, l’entreprise ne vend pas une partie de son
capital, mais uniquement un droit d’usage.
On ne retrouve pas un droit de
vote à l’assemblée générale proportionnel à la quotité du capital détenue, ni
un droit à dividende, ni un droit préférentiel de souscription lors d’une
augmentation de capital. À tout le moins, on peut estimer que le propriétaire
du token dispose d’un droit à
l’information.
On ne peut pas non plus rattacher le token à un titre participatif puisqu’il n’y a pas a priori de
rémunération des souscripteurs ni un droit d’intervention dans la vie sociale.
De plus, l’émission de ces titres est réservée aux
sociétés appartenant au secteur public ou coopératives (article. L. 213-32
du code monétaire et financier). Il ne s’agit pas non plus de titres de créance au sens de l’article L. 213-0-1
du code monétaire et financier puisque les jetons émis ne sont pas des
instruments conçus dans le but de rembourser un prêt ou de donner le droit à un
remboursement monétaire.
L’autorité régulatrice américaine évoque des
valeurs mobilières[3].
En France, L’Autorité des marchés financiers semble tout
de même associer le token à un titre
de capital :
« la
qualification juridique de titres de capital ne paraît pas impossible si les tokens venaient à conférer des droits
politiques et financiers […]. Notons que le fait que l’émetteur des tokens ne possède pas de personnalité
morale ne saurait être considéré comme un obstacle
nécessairement dirimant à la qualification de titres financiers. Il pourrait être considéré que de telles entités constituent en
pratique des sociétés créées de fait »[4].
Certaines ICO pourraient relever du régime des
intermédiaires en biens divers 1 ou 2[5]
(article L. 550-1 du code monétaire et
financier), régime qui a été modifié par l’article 79 de la loi n° 2016-1691
du 9 décembre 2016 (loi Sapin II) puisque tous les biens divers sont
soumis à un contrôle a priori de l’AMF. À la suite de cette loi, l’AMF a publié
une nouvelle instruction qui « détaille les règles
relatives à l’établissement et l’enregistrement des
documents d’information devant être déposés auprès de l’AMF par les intermédiaires
en biens divers »[6].
Si les tokens sont considérés comme des instruments financiers, la
directive européenne 2014/64 concernant les
marchés d’instruments financiers pourrait s’appliquer.
Ces définitions permettent
d’avoir des pistes de réflexion sur la régulation des ICO.
Le plus souvent, ces jetons ne constituent pas un titre de financement, ni une action ou une dette
financière, mais le prépaiement d’un service. Le jeton sert à l’acheteur pour
accéder au service une fois le projet développé. Ce dernier
peut aussi l’acquérir dans le but de réaliser une plus-value de cession sur une
plateforme électronique d’échange.
L’aspect central du token
est sa valeur d’usage ;
ses fonctionnalités sont multiples :
« un token peut représenter un
droit [d’usage d’un produit/service, d’accès, de vote, etc.], un moyen de
paiement, une réputation [token
d’Augur, marché prédictif décentralisé], ou encore une unité de valeur
d’échange au sein d’une application ou d’un écosystème donné. Cela ouvre alors
la voie à un système économique transactionnel entre acheteurs et vendeurs, où
les utilisateurs peuvent gagner des tokens
soit de façon active [via une tâche spécifique], soit de façon passive (ex : accepter de monétiser ses données, ou de monétiser son
espace de stockage libre comme propose Storj), puis les dépenser dans les
services de l’écosystème donné »[7].
Le bitcoin est un token de
type cryptocurrency pour effectuer
des transactions monétaires.
On distingue
généralement les App tokens (jetons
d’application) des Decentralized
autonomous organization tokens (jetons qui permettent de prendre part à l’entreprise : forme d’action à droits privilégiés avec
des règles de gouvernance et une distribution automatique des fonds selon
des contrats intelligents).
Sur 253 ICO
analysées entre 2014 et 2017[8],
2/3 des jetons donnaient accès aux services développés (tokens de type utility/App
tokens) ;
1/4 un droit de vote et un droit de percevoir une partie des profits de
l’émetteur sous forme de dividendes (introduction en bourse numérique soumise
au contrôle de l’autorité financière). Parfois, les jetons ne sont qu’un mode
de paiement et ne donnent pas accès à un service
particulier.
Cette
diversité des ICO rend l’élaboration d’un cadre réglementaire particulièrement
difficile puisque ces opérations doivent être analysées au cas
par cas, les droits financiers et politiques étant variables.
Le fait est
que le token ne bénéfice d’aucun
cadre juridique ;
les acheteurs n’ont légalement aucun droit (en tout cas aucune des garanties
associées aux introductions en bourse sur des marchés financiers réglementés ou
aux autres placements financiers régulés par l’AMF[9]).
Dans le cadre
d’une ICO, on pourrait finalement définir un token comme une forme de titre financier cryptographique permettant
un droit d’usage, un droit financier ou un droit politique sur un service
numérique lié à un projet en cours de développement utilisant la technologie
blockchain.
L’avantage
d’une ICO est sa souplesse : son financement est
virtuel et peut toucher de nombreux investisseurs (professionnels comme
particuliers) à travers le monde.
Il est
possible de lever des fonds en quelques heures, voire quelques minutes ou secondes ;
ce qui contribue à disposer rapidement de liquidités numériques.
Les étapes de
cette levée de fond sont généralement assez peu nombreuses[10]
même si la mise en œuvre effective est complexe :
1) élaborer le projet ;
2) décrire précisément dans un white paper ;
3) présenter une équipe (CEO, CTO, CFO, CMO,
développeurs…) ;
4) s’informer auprès des autorités
compétentes (AMF) et des services fiscaux ;
5) créer un smart
contract (contrat intelligent) qui mettra en œuvre la création des tokens et les règles d’attribution ; son code doit donc être lisible par tous ;
6) prendre les informations nécessaires sur les
clients potentiels pour les identifier (Know
your customer) avec leurs informations d’identité pour sécuriser les
transferts bancaires ;
7) recruter un ou plusieurs conseillers (Advisors) qui apporteront leurs
conseils, une crédibilité et une visibilité au projet (généralement des
personnes issues du monde de la blockchain) ;
8) envisager une prévente avec un tarif
préférentiel pour financer la mise en place de l’ICO.
« La durée et le montant d’une levée
de fonds sont définis avant le lancement et ne peuvent être modifiés par la
suite (marché primaire). Les acheteurs n’étant pas parvenus à participer à
l’émission pourront acquérir ultérieurement les jetons auprès des détenteurs
(marché secondaire) »[11] ;
9) communiquer sur le projet (internet, réseaux
sociaux, médias, roadshows…) ;
10)lancer officiellement l’ICO puis chercher un listing sur une plateforme d’échange
comme Binance (chaque plateforme a ses exigences).
Ce financement
n’est ni du capital ni une dette financière. Il n’y a
donc aucune incidence sur les droits de vote et de
dividendes des actionnaires de la société émettrice. Les jetons ne constituent
pas des actifs financiers, ce qui signifie que
l’entreprise n’a pas recourt à l’emprunt et que l’ICO n’a pas de conséquences
sur sa capacité d’endettement.
La dernière
qualité est à double tranchant puisque l’absence d’un cadre légal contraignant
rend cette levée de fond particulièrement simple, mais laisse planer une ombre
sur les rapports juridiques entre les investisseurs et la société émettrice.
La difficulté des ICO réside dans leur grande diversité et dans la qualification du token. De plus, les cryptomonnaies récoltées sont dépendantes du
cours d’une monnaie numérique comme l’ether qui est
particulièrement volatile.
Un rapport de l’entreprise Ernst & Young pointe les
problématiques majeures des ICO[12] :
- Plus
de 10 % des fonds récoltés sont détournés par des pirates informatiques
(soit 324 millions d’euros en 2017 ; 8 millions de dollars en ether ont été
piratés lors des premières minutes de l’ICO de CoinDash en 2017) ;
- Seuls
23 % des projets lancés ont atteint leurs objectifs à la fin de l’année 2017.
Ce chiffre est aussi expliqué par la hausse continue des ICO (400 en 2017) et
de leur volume financier (elles se jouent parfois en quelques minutes) ;
- Des
défis techniques s’ajoutent aux problèmes de sécurité. Les levées de fond ayant
lieu sur internet, il arrive que le site sature comme
ce fut le cas pour le projet chinois the
key.
70 % des ICO se font sur le protocole
ethereum qui n’arrive plus à garantir la stabilité de son système.
On peut enfin ajouter une autre confusion dans les ICO : certaines ne respectent pas les règles
élémentaires comme l’élaboration d’un smart
contract (transparence technologique), la publication d’éléments précis sur
les conditions de vente et sur le rôle des advisors.
C’est ce qui ressort
d’une tribune des acteurs de la communauté blockchain[13].
À défaut de
règles de droit, les autorités de réglementation comme la Securitiers exchange commission aux Etats-Unis[14]
ou l’Autorité des marchés financiers en France donnent seulement des
indications réglementaires tout en soulignant les risques d’un tel
investissement[15].
L’AMF
a lancé fin 2017 une consultation afin « d’explorer les différentes pistes qui pourraient
permettre d’encadrer ces opérations sur la base de bonnes pratiques observées
sur le marché »[16]. Elle souligne que la plupart des
régulateurs dans le monde appellent à encadrer les ICO sans donner pour autant
de détails pratiques[17].
Aussi peut-on
espérer prochainement la publication d’un guide des bonnes pratiques, une
précision sur les différents régimes applicables aux ICO ou un label de
l’Autorité des marchés financiers pour les ICO réalisées en France comme celle
de la start-up DomRaider.
L’AMF a
d’ores-et-déjà lancé un programme d’accompagnement baptisé Unicorn (Universal Note to ICO’s Research &
Network) pour aider les porteurs de projet à développer leurs opérations
tout en garantissant la protection des acteurs et investisseurs souhaitant y
participer.
Un groupement
de six entreprises européennes spécialisées dans la blockchain ont publié en
2017 leur guide des bonnes pratiques pour favoriser le développement de ce marché dérégulé[18].
Il existe aussi des entreprises qui
accompagnent les projets d’ICO[19].
Il faut conseiller aux entreprises d’être prudentes ;
des questions se posent en matière fiscale puisque les cryptomonnaies peuvent
être considérées tant comme des monnaies que comme des actifs. Il est donc judicieux de faire appel à l’administration fiscale
par le biais d’une demande de rescrit pour connaître sa situation.
Le marché
n’étant pas encore régulé, certains pays interdisent les ICO sur leur
territoire (ce qui n’est pas simple à réaliser quand le procédé a lieu sur
internet) comme la Chine et la Corée du Sud compte
tenu du nombre de fraudes[20].
L’AMF concède que : « la grande majorité des offres actuelles
risque de n’être soumise à aucune réglementation dont l’AMF assure le respect »[21].
À cet égard,
elle propose quatre options :
1) Statu quo et
règles de bonnes pratiques. La transparence sera nécessairement au cœur du
débat et l’AMF n’a pas fait mystère de ses priorités :
« informer, dans un document unique, de façon claire,
exacte, non trompeuse en fournissant des éléments équilibrés sur : - le projet
et son évolution - les contreparties pour le souscripteur, les risques et
inconvénients afférents - le traitement économique et comptable des fonds
collectés par l’émetteur. - les juridictions
compétentes en cas de litiges »[22].
2) « La réglementation « prospectus » s’applique aux
offres au public et tous les émetteurs doivent s’y
soumettre même si les montants levés sont faibles et les risques maîtrisés. Les
ICO seraient alors appréhendées par les textes existants en matière d’offres au
public de titres financiers, élargis à cet effet […] le règlement (UE)
2017/1129 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 concernant le
prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue
de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé […]
entrera en vigueur le 21 juillet 2019 et devrait permettre d’élargir le champ
d’application du texte aux offres au public de tokens »[23].
3) Un régime d’autorisation applicable à
toutes les ICO s’adressant au public en France.
Ce régime
d’autorisation pourrait être inspiré de règles relevant du régime des
intermédiaires en biens divers (…) et de règles relevant du régime « prospectus », qui pourront être complétées par des règles ad
hoc (…) Les ICO qui n’auraient pas reçu le visa de l’AMF seraient interdites en
France et susceptibles de faire l’objet de sanctions pour défaut de visa »[24].
4) « Un régime d’autorisation optionnel. Les initiateurs des ICO pourraient décider de demander
l’autorisation de commercialisation à l’AMF qui délivrerait alors son « visa »,
ou, au contraire, de ne pas soumettre de dossier à l’AMF. Les offres non
autorisées formellement ne seraient pas interdites, mais devraient, si elles
sont présentées en France, contenir obligatoirement une mise en garde indiquant
clairement cette absence de visa de l’AMF. L’adoption d’une
telle législation permettrait à l’AMF de sanctionner les manquements aux règles
prévues »[25].
Les options 1)
et 4) nous semblent ici plus pertinentes.
Concernant
l’option 2), il n’est pas certain que la réglementation Prospectus soit tout à fait adaptée aux ICO ;
elle ambitionnait plutôt d’alléger la réglementation existante pour les PME[26].
Ce « prospectus » normalisé avec un
résumé limité et la mention des risques afférents au projet bouleverserait la
pratique des ICO.
S’agissant de
l’option 3), il n’y a quasiment aucune contrainte
dans le reste du monde qui justifierait en France un régime d’autorisation
obligatoire. Il semblerait donc plus judicieux de proposer un
accompagnement optionnel pour ces levées de fonds numériques. Cela permettra de
ne pas freiner les intentions en ce sens, tout en
proposant un cadre réglementaire optionnel qui pourra attester du sérieux du
projet et constituer une indication précieuse pour les investisseurs.
Par ailleurs, il est compliqué (si ce n’est illusoire) de contrôler toutes
les ICO accessibles aux investisseurs français. Il ne faut pas perdre de vue la
dimension internationale des ICO ; le projet peut être lancé de n’importe quel
pays.
De ce fait, une réglementation trop contraignante en France ou
en Europe pourrait décourager les levées de fonds en cryptomonnaies sur notre
sol.
Le doyen Carbonnier s’exprimait ainsi :
« il y a aussi des inhibitions intériorisées, sans
qu’il y ait des règles perceptibles pour les commenter : il y a la
prudence, il y a la crainte, il y a la sobriété, il y a cette force
indéfinissable que l’on appelle le bon sens, le sens commun, c’est une
véritable source du droit »[27].
On ne saurait trop conseiller, en absence de statut
juridique clair, des règles de prudence et de bon sens :
1)
Investir uniquement ce
que l’on est en mesure de perdre et éventuellement s’intéresser à la
technologie blockchain sous-jacente. Les projets sont risqués ; en absence de smart contract, il faut déposer les
fonds sur une adresse deposit sans
avoir de garanties sur leur retour ;
2)
Lire avec le plus grand intérêt le livre
blanc (white paper) qui décrit les
raisons et les ambitions du projet. Il n’y a aucune norme précise pour son élaboration. Le mieux étant
de comparer avec les white paper
existant qui ont tenu leurs promesses ;
Le montant levé est-il cohérent avec l’organisation du projet ?
Quels sont les objectifs de financement (hard
cap / soft cap) ? Un montant très supérieur aux
objectifs initiaux peut être signe d’un scam
(une arnaque) ;
3)
Connaître précisément le champ d’activités de
la blockchain envisagée : quel secteur serait
susceptible d’être intéressé (services, entreprises) ? Y
a-t-il déjà une forte communauté qui soutient le projet sur les forums ?[28]
4)
Analyser le carnet de route (road map) qui est le calendrier des
différentes étapes du projet ;
5)
Consulter les membres de l’équipe (team) à l’origine du projet
(expériences, compétences informatiques, en marketing ou en communication et
juridiques). Généralement, il y a le nom et le prénom de chaque membre ainsi
que son CV en ligne ;
6)
Observer les informations remises aux
investisseurs et la transparence générale du programme ;
7)
Se renseigner sur le prix initial du token (est-ce qu’il y a eu des préventes ?)
et sur sa qualification et son usage (droit de vote ?
droit de regard ?), quelle part des tokens la société va conserver avec un
éventuel préminage ?
Un monde idéal, « il faut qu’il y en ait de cette espèce » disait Voltaire dans son utopie de l’Eldorado, mais il
dénonçait ironiquement cette ambition qui fait fi des réalités humaines.
Un cadre légal pourrait offrir aux ICO une réalité ancrée
dans la pratique et protégerait les conquistadors
numériques de leurs propres illusions.
Reste qu’il apparaît aujourd’hui très difficile de
définir un régime juridique clair face à une pratique internationale et
décentralisée (la loi Hadopi nous le rappelle) ; seules des
recommandations générales axées sur la transparence et assorties d’un
accompagnement des régulateurs pourront répondre à la disparité des ICO et à
leur souplesse intrinsèque.
La prudence doit demeurer le maître mot, son étymologie
renvoie à l’acte de penser ;
en somme, il existe déjà une forme d’autorégulation qui relève de la
responsabilité de chacun.
[1] Consultation publique de l'AMF sur les Initial Coin Offerings (ICOs) 26
octobre 2017, http://www.amf-france.org/, 16 p, p.
1.
[2] Site Internet de Blockchain
France accessible à :
https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/.
[3] Site internet du U.S. Securities and Exchange Commision, accessible à : https://www.sec.gov/oiea/investor-alerts-and-bulletins/ib_coinoffering.
[4]
Consultation publique de l'AMF sur les Initial Coin Offerings (ICOs) 26 octobre
2017, http://www.amf-france.org/, 16 p, p.
7.
[5] Ibid. p. 9.
[6] Instruction DOC-2017-06 de l’AMF.
[7] Site
internet du ICO MENTOR, accessible à :
https://icomentor.net/2017/08/06/comprendre-les-tokens-definition-explication/.
[8] Etude américaine relatée par
Les Echos :
https://www.lesechos.fr/06/10/2017/LesEchos/22545-123-ECH_comment-le-marche-des-ico-a-pris-son-essor.htm.
[9] Consultation publique de l'AMF sur les Initial Coin
Offerings (ICOs) 26 octobre 2017, http://www.amf-france.org/,
16p, p. 5.
[10] Site internet de Sébastien
Bourguignon accessible à :
http://sebastienbourguignon.com/2017/10/25/infographie-10-conseils-pour-se-lancer-dans-une-ico/.
[11] Le blog des fonctions financières
accessible à :
:
8, 59, Nairobi, 4 avril 2018 http://www.leblogdesfinanciers.fr/2018/02/05/comprendre-les-levees-de-fonds-par-ico/.
[12] http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/ey-research-initial-coin-offerings-icos
/%24File/ey-research-initial-coin-offerings-icos.pdf.
[13] Site internet de MEDIUM accessible à :
https://medium.com/@AlexStach/ico-limp%C3%A9ratif-de-la-transparence-603a41920741.
[14] Site internet du U.S. Securities
and Exchange Commision, accessible à :
https://www.sec.gov/news/public-statement/statement-clayton-2017-12-11.
[15] Site de l’Autorité des marches
financiers accessible à: http://www.amf-france.org/Epargne-Info-Service/Autres-infos-et-guides-pratiques/Les-autres-produits-d-investissement/Investir-dans-le-bitcoin-prudence.
[16] Consultation publique de l'AMF sur les Initial Coin
Offerings (ICOs) 26 octobre 2017, http://www.amf-france.org/,
16 p, p. 4.
[17] « L’Autorité européenne des marchés
financiers (AEMF), la Financial Conduct Authority (FCA) au Royaume-Uni et
l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) en Suisse
considèrent que certaines ICOs sont appelées à entrer dans le cadre légal existant
relatif aux offres au public de titres financiers ou de la commercialisation
d’instruments financiers, tandis que d’autres ICOs échappent à la
réglementation existante, sans précision à ce stade sur les critères permettant
de catégoriser les différentes ICOs ; aux États-Unis, la Securities and
Exchange Commission (SEC) a considéré, à propos d’un cas concret d’ICO, que les
jetons émis dans le cadre de celle-ci constituaient des « actifs financiers »
et par conséquent que l’opération d’ICO était régie par les lois fédérales
américaines dans le cas d’espèce. La SEC a précisé que les lois fédérales
s’appliquent à tout « actif financier », quel que soit son mode de distribution ; en Allemagne, la Bundesanstalt für
Finanzdienstleistungsaufsicht (BaFin) a fait savoir qu’au regard du droit
national (loi bancaire), les cryptomonnaies sont des instruments financiers. La
BaFin régule les prestataires qui fournissent des services d’investissement sur
monnaie virtuelles comme elle le fait pour les actions, les dérivés ou les
contrats sur devises. Elle n’a cependant pas pris de position générale sur les
ICOs à ce jour ; la Monetary Authority of Singapore
(MAS) a indiqué qu’elle régule les ICOs au titre du droit existant dans le cas
où les jetons sont des produits régulés, en rappelant cependant qu’elle ne
régule pas les cryptomonnaies ; - d’autres autorités ont indiqué qu’à ce stade,
elles ne régulent pas les ICOs, à tout le moins pas avant d’en avoir une
connaissance approfondie. C’est notamment le cas de l’Australian Securities and
Investments Commission (ASIC), qui précise avoir une approche neutre par
rapport à la technologie concernée et de la Gibraltar Financial Services
Commission (FSC), qui entend publier des guidelines en 2018 et faire de
Gibraltar un lieu propice au développement des ICOs ». ibid,
p. 4.
[18] Site internet
de ICOCHARTER accessible à http://www.icocharter.eu/.
[19] Site internet de ICO MENTOR accessible à
: https://icomentor.net/.
[20] Ibid. p. 3.
[21] Consultation publique de l'AMF sur les
Initial Coin Offerings (ICOs) 26 octobre 2017, http://www.amf-france.org/, 16 p, p. 10.
[22] Ibid. p. 11.
[23] Ibid. p. 13.
[24] Ibid. pp. 14-15.
[25] Ibid. p. 15.
[26] A-C Muller, Information financière – nouveau règlement
Prospectus, Revue des sociétés 2017, p. 597.
[27] J. Carbonnier, « Paroles de Jean Carbonnier. Propos
retranscrits par R. Verdier », Droit et cultures,
48 | 2004-2, 10 mars 2010 URL :
http://journals.openedition.org/droitcultures/1820.
[28] Par exemple
celui de https://bitcointalk.org/.