L’utilisation des données personnelles dans la lutte contre le terrorisme

par Shathil NAWAF Sh., Doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

Le Conseil de Sécurité est aujourd’hui l’organisation internationale par laquelle l’ordre international met en place une politique de lutte contre le terrorisme, à travers notamment le vote de résolutions appelant les États membres à adopter un arsenal juridique conséquent. C’est dans le cadre de cette lutte que le Conseil de Sécurité a voté le 21 décembre 2017 la résolution 2396 dans laquelle les États membres étaient appelés à collecter les données des passagers aériens pour empêcher le retour des combattants terroristes étrangers. Le Conseil de Sécurité a en effet explicitement «exhort[é] les États membres à envisager, le cas échéant, de déclasser à des fins administratives les données de renseignement, y compris les données relatives aux voyages […] afin de communiquer […] et de les transmettre comme il convient aux autres États et organisations internationales compétentes concernés […]».

De manière générale, et au vu des développements de la technologie, la prévention contre le terrorisme est à l’origine d’une percée considérable dans les traitements automatisés de données à caractère personnel[1]. Le Conseil de Sécurité vise en l’occurrence autant les données biométriques que les informations préalables passagers (API) et les données des dossiers passagers (Passenger Name Record – PNR). Ces dernières connaissent depuis deux décennies une évolution non négligeable car la menace terroriste est facilitée par les déplacements, tant par leur dimension internationale que par la mobilité qu’elles supposent, notamment destinée à assurer la clandestinité de ceux qui y sont impliqués. Les données des dossiers passagers sont des fichiers créés par les compagnies aériennes pour chaque voyage réservé par un passager. Ces fichiers sont stockés sur les bases de données de réservation et de contrôle des départs des compagnies aériennes et permettent à tous les intervenants du secteur aérien de reconnaître chaque passager et d’avoir accès à toutes les informations pertinentes concernant son voyage[2].

Le contrôle des dossiers permet de suivre les déplacements des usagers du transport aérien afin de lutter contre ceux qui sont susceptibles de commettre un acte terroriste. En effet, le recours à des fichiers est une pratique courante, surtout depuis l’entrée de l’informatique dans le système aéroportuaire, avec des possibilités quasiment illimitées d’exploitations et de croisements. Il s’agit de lutter contre la clandestinité des terroristes, favorisée par la mobilité et la dimension internationale de leurs déplacements. Les attentats du 11 septembre 2001, et ceux qui ont été commis plus tard, ont incité les États à renforcer leur contrôle sur les données des passagers aériens. La France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres États se sont dotés d’un système PNR national. Les données des passagers aériens se sont révélées être un outil de renseignement efficace puisqu’il permet de briser les réseaux de grande criminalité[3].

Toutefois, des critiques se sont élevées pour pointer du doigt les dangers que pouvait constituer l’utilisation de ces données dès lors que le législateur ne délimitait pas la durée de la conservation de ces données, l’instance indépendante chargée de les traiter, ou bien le risque de l’utilisation de données sensibles comme les opinions religieuses ou politiques qu’elles pouvaient contenir. Ces questions ont été autant soulevées sur le plan national, par les parlementaires français par exemple, que sur le plan européen et international, par les députés européens.

Un avis de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 27 juillet 2017 avait également relancé les débats sur la compatibilité du système PNR avec la protection des données personnelles et des libertés fondamentales en général. Les juges du Luxembourg étaient appelés à se prononcer sur e projet d’accord entre le Canada et l’Union européenne concernant le transfert des données des passagers aériens. En constatant l’incompatibilité de l’accord avec les droits fondamentaux garantis par les traités européens, les juges de la Cour de justice entendaient assurer un très haut niveau de protection des données personnelles des passagers aériens. L’avis sous-entend que les droits fondamentaux des citoyens européens ne doivent pas être sacrifiés sur «l’autel des impératifs sécuritaires»[4].

La sûreté aérienne, comme la lutte contre le terrorisme en général, est un problème qui se pose aujourd’hui de manière globale et les fichiers PNR semblent n’être qu’une pierre d’un édifice général qui reste à achever. La présente réflexion permettra de comprendre de quelle manière les données de dossiers passagers ont été propulsées par les autorités étatiques comme un outil de prévention contre les actes terroristes. À ce titre, l’intronisation des données des dossiers passagers, à travers leur systématisation, dans l’arsenal antiterroriste contemporain (I) s’accompagne d’un débat non sans controverses sur la nécessité de ne pas sacrifier la protection des libertés publiques sur l’autel de la lutte antiterroriste (II).

§ 1 – La promotion du système PNR dans l’arsenal antiterroriste contemporain

Initialement utilisées de manière aléatoire par les autorités étatiques, les données PNR ont été systématisées (A) jusqu’à devenir un outil indispensable pour la surveillance des déplacements (B) dans le cadre la prévention des actes terroristes (B).

A)  D’une utilisation aléatoire à la systématisation : le PNR avant les attentats du 11 septembre 2001

La date du 11 septembre 2001 est symbolique à plusieurs égards dans l’histoire contemporaine. Dans le domaine de la sécurité publique s’est produit un changement de paradigme : les déplacements des usagers du transport aérien pouvaient faciliter la commission de crimes qui pouvaient impacter la sécurité de la Nation. À l’heure où les actes terroristes se multiplient dans le monde, comme le révèle l’actualité récente, la sûreté du transport aérien est plus que jamais une préoccupation essentielle pour les états. Dans ce contexte, les données des dossiers passagers sont devenues un outil de renseignement, de prévention et de lutte contre le terrorisme.

Avant les attentats du 11 septembre 2001, les données des passagers aériens avaient surtout un aspect commercial. Ces données sont fournies par les voyageurs au stade de la réservation commerciale. Elles sont utilisées par les transporteurs aériens dans leurs systèmes de billetterie, de réservation et d’enregistrement[5]. Toutefois, elles pouvaient être requises par les autorités judiciaires pour les besoins d’une enquête ou d’une instruction. À cette époque, aucune législation n’avait prévu un dispositif spécifique dans lequel les transporteurs et les agences de voyages étaient contraints de transmettre ces données aux autorités compétentes à des fins de prévention et de répression d’infractions[6].

Les données PNR ne sont pas les seules collectées par les transporteurs aériens. Il y a d’une part les «renseignements préalables concernant les voyageurs» (RPCV) qui comprennent les éléments d’identification des passagers ou des membres de l’équipage grâce au passeport ou document de voyage fournis[7]. Ces données comprennent également des informations générales concernant le vol. Lesdites données sont avant tout destinées aux transporteurs. À ce titre, elles ne présentent qu’un intérêt limité pour les autorités de l’État[8]. D’autre part, les autorités aériennes sont amenées à collecter les données dites «Advanced Passenger Information» (API). Ces données contiennent des informations biographiques telles que le nom, le prénom, la date de naissance, sexe, nationalité, ainsi que des informations relatives au document de voyage utilisé et recueillies par les compagnies lors d’enregistrement des passagers. Moins centrées sur le passager, elles dressent davantage les caractéristiques du vol[9].

Les données PNR sont distinctes des précédentes, elles sont fournies par les voyageurs dès la réservation commerciale et non au moment de l’enregistrement. Autrement dit, elles sont transmises dès la formation du contrat de transport[10]. Ces données contiennent les dates du déplacement, l’itinéraire, les informations figurant sur le billet, les coordonnées du passager, le nom de l’agent de voyages sollicité, le moyen de paiement utilisé, le numéro du siège et la nature des bagages. Au plan international, ces données suivent un modèle standard d’enregistrement. Leur nombre va varier en fonction des pratiques des transporteurs et des exigences des états. Ces derniers vont disposer d’un moyen de suivi dématérialisé et en temps réel des passagers.

Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont institué, en application de l’Aviation and Transportation Act[11], une obligation pour les compagnies assurant des liaisons de passagers au départ, à destination ou via les États-Unis de donner au ministère de la sécurité intérieure (Department of Homeland Security ou DHS) l’accès aux données PNR qui figurent dans leurs systèmes de réservation et de contrôle des départs. Les compagnies aériennes étrangères devaient se conformer à cet acte unilatéral à la date du 5 mars 2003 sans quoi, elles ne seraient plus autorisées à desservir le territoire américain. Le ministère chargé de la sécurité intérieure américaine rappelle que le PNR permet d’identifier environ 1750 cas suspects chaque année et a été d’un intérêt déterminant dans de nombreuses investigations liées au terrorisme depuis le 11 septembre 2001[12]. Cette initiative américaine a encouragé d’autres états à se doter de fichiers PNR nationaux.

B)  Le PNR comme outil de surveillance des déplacements dans la prévention du terrorisme

Comme outil de prévention contre le terrorisme, les données PNR ont fait l’objet de législations sur plusieurs plans. Au niveau européen, l’Union européenne a dès 2007commencé à réfléchir sur l’idée d’un PNR européen. Le 27 avril 2016, le Parlement européen et le Conseil ont adopté une directive relative à la prévention et la détection des infractions terroristes et formes graves de criminalité via le transfert des données passagers par les transporteurs aériens et leur traitement[13].

La directive européenne 2016/681 doit permettre la mise en place d’une coopération entre États membres permettant l’échange et l’exploitation des données PNR tout en respectant les libertés publiques. Cette dernière ne crée pas un PNR européen stricto sensu, tel qu’un seul fichier de données centralisé, mais les conditions d’un début de coordination entre les vingt-huit PNR déjà existants ou à créer. L’objectif pour le législateur européen est de réglementer les dispositions des États membres relatives aux obligations des transporteurs aériens en matière de transmission des données et de définir des modalités communes de traitements[14].

La directive édicte des règles communes d’accès aux données. Tout d’abord, en ce qui concerne le transfert de données, la directive prévoit le transfert de données des passagers de vols internationaux ainsi que le traitement de données, comme la collecte, ainsi que l’échange de ces données entre ceux-ci (article 1). La directive est applicable aux vols intra-UE lorsque les États membres en font la demande (article 2). Il est à noter que les pays de l’Union pourront également choisir de collecter et traiter les données PNR des opérateurs économiques autres que les transporteurs aériens tels que les agences et organisateurs de voyages. Dans le contexte de menace terroriste, cela devrait logiquement inciter les États membres à faire usage de ces dispositions.

La directive appelle également les États membres à créer des Unités Information Passagers (UIP). En France, celle-ci a été créée dès 2014. L’article 4 permet alors de rendre possible un échange des différents UIP des États membres. À la tête de chaque unité est nommé un délégué à la protection des données. Par ailleurs, les États membres ont la faculté d’échanger entre eux et avec Europol les données PNR qu’ils reçoivent aux fins de la prévention et de la détention des infractions terroristes (article 10).

En ce qui concerne le traitement des données, deux méthodes existent dans le traitement des données PNR. D’une part, il y a la méthode pull dans laquelle les autorités compétentes de l’État membre qui requièrent les données PNR peuvent accéder au système de réservation du transporteur aérien et en extraire une copie des données PNR requises. D’autre part, il y a la méthode push où les transporteurs aériens transmettent ces données à l’autorité requérante ce qui permet aux premiers de garder le contrôle sur les données transmises. Cette méthode est réputée offrir un niveau plus élevé de protection des données et devrait être obligatoirement adoptée pour tous les transporteurs aériens. Elle est celle que le législateur européen a choisie (article 6). Il appartient à l’IUP de l’État membre qui reçoit ces informations de traiter ces données. D’ailleurs, les pouvoirs de cet organisme sont strictement encadrés. Il ne peut les traiter que pour des finalités à dominante répressive.

Les données PNR sont utilisées de deux manières. Le mode réactif sous-entend qu’après la commission de l’infraction, les PNR vont aider les services répressifs à prévenir et à détecter d’autres infractions graves (dont le terrorisme), à enquêter sur celle-ci et à poursuivre leurs auteurs. Lorsque cela est fait en temps réel, les données PNR permettent d’identifier des personnes auparavant «inconnues» des services concernés (non-soupçonnées de participation à une infraction grave ou à un acte de terrorisme mais dont l’analyse des données indique qu’elles peuvent être impliquées dans une infraction de cette nature et qu’elles devraient donc être soumises à un examen approfondi par les autorités compétentes). La seconde manière permet d’identifier les personnes dont les données de déplacement sont suspectes comme les ressortissants européens soupçonnés de vouloir rejoindre les mouvements djihadistes au Proche-Orient, en Afrique ou en Asie Centrale[15].

Enfin, il est requis de la part des États membres d’arrêter une liste des autorités habilitées à travailler avec les UIP. Cette disposition permet de disposer d’une traçabilité des acteurs du traitement des données PNR.

Sur le plan national, la France a mis en place un régime de collecte des données des dossierns passagers dès 2014. Établi à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2017, le système a été créé pour les besoins de la «prévention et de la constatation des actes terrorisme, des infractions mentionnées à l’article 695-23 du Code de procédure pénale et des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, du rassemblement des preuves de ces infractions et de ces atteintes ainsi que de la recherche de leurs auteurs». Codifiées dans le Code de la Sécurité intérieure, les dispositions définissent le contenu et les conditions d’exploitation du nouveau fichier national de données passager (système API-PNR France). Le système a été prolongé après la date de la fin d’expérimentation et pérennisé[16].

Le décret n° 2014-1095 du 26 septembre 2014 a créé un traitement de données à caractère personnel dénommé «système API-PNR France» pris pour l’application de l’article 232-7 du Code de la Sécurité intérieure. Le décret n° 2014-1566 du 22 décembre 2014 portant création d’un service à compétence nationale dénommé «Unité Information Passagers» (UIP). L’UIP est un service à compétence nationale rattaché au ministre chargé des douanes, dont la mission est de gérer le système API-PNR France et de répondre aux requêtes des services de sécurité ayant accès à la plateforme. Il s’agit surtout de récupérer et de rapprocher ces données avec le fichier des personnes recherchées, notamment pour implication de terrorisme.

L’objectif de ce système est de recueillir toutes les données API-PNR des 230 compagnies françaises et étrangères desservant le territoire national, à l’exclusion des vols intérieurs, soit l’équivalent de deux cents millions de dossiers par an. Les données PNR sont davantage utilisées en tant qu’outil de renseignements en matière criminelle que comme un instrument de contrôle aux frontières. Ces données permettent de favoriser la coopération entre les services de répression et de lutte contre les formes les plus graves de criminalité.

L’efficacité du PNR dans la lutte contre le crime organisé s’explique par le fait que les données fournies par les transporteurs aériens aux autorités en charge de la répression soient disponibles en amont des déplacements. Ainsi, ce dispositif permet une intervention efficace contre les auteurs de ces infractions. À titre d’illustration, l’analyse de l’utilisation du PNR par la cellule de ciblage de Roissy démontre que 80 % des saisies de cocaïne ont été réalisées grâce à l’utilisation du PNR. Le taux de réussite des délits constaté grâce à un ciblage par les données PNR est sept fois supérieur à celui obtenu par les autres méthodes d’analyse. En effet, les douanes françaises s’appuyant sur l’article 65 du code des douanes peuvent demander aux compagnies aériennes de leur transmettre des données PNR.

§ 2 – Le PNR devant l’equilibrium des libertés fondamentales et de la sécurité nationale

L’initiative américaine d’exiger le transfert des données de dossiers passager a donné lieu à la multiplication des accords PNR (A) qui ne cessent depuis d’alimenter le débat sur la protection des libertés fondamentales en matière de protection des données personnelles et de la vie privée (B).

A) Les accords PNR : la nécessité de multiplier les échanges de données face au défi de la différence des standards de protections

Les attentats du 11 septembre 2001 ont conduit les autorités américaines à accorder une attention importante aux données PNR compte tenu de l’enjeu pour la sécurité aérienne, de la menace terroriste lors du franchissement des frontières et de la richesse des informations susceptibles d’être contenues dans les dossiers passagers. Par un effet de contagion, d’autres états se sont mis à organiser de manière systématique la collecte des données de passagers. La principale préoccupation des opérateurs a pour objet l’harmonisation des règles de divers systèmes PNR afin de diminuer le coût des transmissions.

Le système américain est le plus ancien et le plus abouti. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, les États-Unis ont adopté le 19 novembre 2001 une législation sur la sécurité de l’aviation et du transport (the Aviation and Transportation Security Act). Le 5 mai 2002, une loi renforçant les conditions d’entrée sur le territoire américain (Enhanced Border Security and Visa Entry Reform Act) est également votée. Ces mesures prévoyaient qu’à compter du 5 mars 2003, les compagnies aériennes devraient communiquer aux services de douanes et de sécurité américains des informations personnelles relatives à leurs passagers, sous peine de contrôles renforcés, d’amendes ou même de suspension du droit d’atterrir.

Cette nouvelle législation américaine posait problème car elle heurtait les règles européennes en matière de protection des données personnelles. La conclusion d’un accord entre l’Union européenne et les États-Unis était en fait nécessaire afin que les compagnies aériennes ne soient pas placées en porte-à-faux entre les législations américaines et européennes. Un accord a été conclu le 19 octobre 2006 et entré en vigueur le 1er août 2007. Un second texte a été conclu fin juillet 2017, renégocié à partir de la fin de l’année 2010. Validé par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne en avril 2012, un nouvel accord est entré en vigueur le 1er juillet 2012 pour une durée de sept ans.

L’accord est conclu dans le cadre du troisième pilier qui regroupe les questions de police et de justice. Le ministère de l’intérieur américain peut transférer les données PNR à d’autres autorités gouvernementales. Ce même ministère a accès, dans des circonstances exceptionnelles, aux données sensibles, c’est-à-dire celles pouvant révéler l’origine raciale ou ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques ou les données de santé. Par ailleurs, les finalités du système sont très larges et évolutives. Enfin, les données sont conservées sept ans puis huit ans supplémentaires en cas de besoin soit un total de quinze années sans que des garanties aient été apportées sur leur destruction passé ce délai.

Les accords avec l’Australie et le Canada sont en revanche plus équilibrés. L’accord avec le Canada vise exclusivement des finalités de lutte contre le terrorisme. Alors que les accords avec les États-Unis prévoient la transmission de trente-quatre rubriques de données PNR, les accords avec le Canada ne visent que 25 vingt-cinq rubriques. Elles indiquent un champ de données plus limité. De plus, les citoyens européens bénéficient du droit d’accès et de rectification de leurs données dans les mêmes conditions que les résidents canadiens. Il est enfin prévu une durée de conservation de trois ans et demi. L’accord entre l’Australie et l’Union européenne ne prévoit pas beaucoup de différentes même si les finalités sont aussi larges que celles prévues dans l’accord avec les États-Unis[17].

Le contrôle européen pour la protection des données, l’agence européenne des droits fondamentaux et le groupe de l’article 29 sur la protection des données ont tous émis des avis très réservés sur la proposition de décision-cadre. Les critiques insistent en particulier sur l’insuffisance d’éléments d’information et de retours d’expérience démontrant l’utilité et la nécessité de la collecte de données PNR à des fins répressives. Cette absence de preuve de l’intérêt du dispositif serait d’autant plus rédhibitoire que la collecte indifférenciée des données PNR de tous les passagers à destination d’un État membre de l’Union européenne est susceptible de porter une atteinte grave au respect des droits individuels.

Le contrôleur européen pour la protection des données critique en particulier le profilage qui consiste à bâtir des hypothèses de risque à partir de données personnelles ne caractérisant pas une infraction. En effet, l’élaboration de modèles de déplacements et de comportements conduit à fonder des décisions à l’encontre d’individus qui auront ensuite le plus grand mal à se défendre de ces décisions. Le profilage doit être appréhendé comme un processus impliquant plusieurs techniques, d’abord la captation des informations et ensuite l’analyse de ces informations.

Le profilage se présente comme un mécanisme intrusif car il implique la collecte et l’utilisation à court, moyen ou long terme de toutes les informations touchant à l’individu. Le nombre de données captables est ce qui caractérise l’intrusion. En effet, cette technique aboutit à nier l’essence même de l’homme en le réduisant à une catégorie sur la base de calculs statistiques sans avoir égard à sa possibilité de changer. Ainsi, la moindre donnée personnelle est susceptible de renseigner sur les agissements futurs de l’individu qu’elle touche. Avant de valider cette tendance, le préalable est de valider le degré de prédictibilité de la donnée étudiée et ce n’est que si la valeur prédictive est élevée que la prise en compte des prévisions peut être considérée comme pertinente. Ces critiques relèvent en fin de compte un état de fait qui soulève des défis pour la société civile : la mise à l’épreuve des libertés publiques devant les enjeux sécuritaires qui se posent.

 

B)  Les libertés publiques à l’épreuve des considérations sécuritaires de lutte contre le terrorisme

L’utilité des données personnelles est indéniablement un sujet de controverse malgré un développement concret dans plusieurs états comme il a été démontré ci-dessus. Pourtant, le G29, appelé depuis EDPB depuis le 25 mai 2018, comme le contrôleur européen de la protection des données remarquent l’absence d’éléments chiffrés démontrant l’utilité et la nécessité de ces données pour les services de sécurité. À l’opposé, les services en charge de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée affirment que ces données sont une mine de renseignement extrêmement utile et que leur exploitation n’est en aucune façon redondante avec d’autres dispositifs en vigueur comme les données API ou les visas biométriques[18]. Compte tenu des retours d’expérience, les experts considèrent que les données PNR ne sont pas redondantes avec d’autres dispositifs et sont une aide précieuse pour les services de sécurité[19].

Les experts en sécurité attirent l’attention sur le fait que les autres systèmes d’identification sont particulièrement utiles pour identifier une personne avec certitude et déclencher des mesures, comme une arrestation, lorsque cette personne attire déjà l’attention des services de sécurité. Toutefois, la particularité des données PNR réside ailleurs : elles sont aussi utiles pour détecter des personnes non connues a priori des services de sécurité mais dont certains comportements peuvent être révélateurs d’un risque criminogène. Le profilage s’effectue à partir de l’analyse des autres données PNR, le nom permettant dans un second temps de relier cette analyse à un individu. Par ailleurs, étant donné que le nom est une des données les moins fiables du système PNR, la consultation des données API et des documents de voyage est le moyen le plus pertinent pour s’assurer de l’identité exacte d’une personne.

L’utilisation des données PNR semble être précieuse puisque l’analyse de celles-ci permet de bâtir des hypothèses de risque relativement fiables et de cibler en retour des contrôles ou la mise en place d’une surveillance selon les experts en contre-terrorisme. En matière douanière, Gérard Schoen[20] a révélé que le ciblage des contrôles à partir des données PNR était désormais un outil primordial et décisif pour l’efficacité de ses services. Entre 60 % et 80 % des stupéfiants saisis par la douane dans les aéroports le sont à la suite d’un ciblage. D’après les tests effectués, le taux de résultat des contrôles ciblés est huit fois supérieur à celui des contrôles aléatoires.

Les données sont efficaces même si leur plus-value est plus difficile à évaluer. M. Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur à l’époque, explique que le terrorisme international ne reposait plus sur un support étatique mais s’appuyait sur des individus relativement isolés agissant en réseau. L’évolution du terrorisme contemporain implique une détection précoce afin de prévenir et évaluer la dangerosité de la menace. Ainsi, elle permet de cerner l’environnement et «neutraliser judiciairement l’individu avant le passage à l’acte». Les PNR pourraient être précieuses dès dès lors qu’elles fournissent une multitude de petites informations qui, agrégées à d’autres, sont autant de signaux d’alarme. M. Bernard Squarcini a souligné qu’en matière de renseignement, une donnée est rarement décisive en elle-même[21]. En fait, elle ne vient que compléter une panoplie de données. C’est la raison pour laquelle il est très difficile d’évaluer la plus-value propre desdites données dans la lutte contre le terrorisme. Cela est un argument pour ceux qui émettent des critiques contre le projet du PNR européen. Il est à ajouter qu’une personne qui passe une frontière s’expose toujours à des contrôles exorbitants par rapport à ceux auxquels elle est exposée sur le territoire d’un État de droit. Le développement des systèmes PNR peut dès lors apparaître comme n’étant pas d’une nature si différente des contrôles applicables à ce jour aux voyageurs internationaux (comme le contrôle d’identité). Cela n’est que la traduction du principe de souveraineté des États.

Par ailleurs, il semblerait que l’utilité des données n’est pas suffisante en elle-même pour justifier ce système. Le principe de la proportionnalité sous-entend de mettre en balance les gains pour la sécurité et les sacrifices consentis au détriment du respect des droits fondamentaux. Les systèmes PNR peuvent être comparés à des «fils dérivants» capturant de nombreuses données relatives à des citoyens ordinaires. Elles permettent d’une part de détecter des activités terroristes ou criminelles et d’autre part de réveiller ces données pendant plusieurs années en cas de besoin. Ce système est distinct de celui des fichiers de police traditionnels qui ont pour objet d’accumuler des données sur des personnes déjà connues de services. Ainsi, le reproche principal lancé à la collecte des données de passagers aériens est le suivant : les collectes indifférenciées font de chaque utilisateur un potentiel suspect.




[1] Y. Mayaud, «Répertoire de droit pénal et de procédure pénale», Terrorisme – Prévention, janvier 2018.

[2] Ibidem.

[3] Sénat, Commission des lois, Rapport n° 401 : La proposition de décision-cadre relative à l’utilisation de données des dossiers passagers à des fins répressives, présenté par M. Simon Sutour et M. Yves Détraigne, 13 mai 2009.

[4] V. Correai, «À propos de l’avis 1/15 relatif au projet d’accord entre le Canada et l’Union européenne sur le transfert des données des passagers aériens», LexisNexis, Communication – Commerce électronique n° 6, Juin 2018.

[5] P. Dupont, «Les données des dossiers passagers (PNR) dans le transport aérien», Revue française de droit aérien et spatial, vol. 278, n° 2, 2016.

[6] Sénat, Commission des lois, Rapport n° 401 : La proposition de décision-cadre relative à l’utilisation de données des dossiers passagers à des fins répressives, présenté par M. Simon Sutour et M. Yves Détraigne, 13 mai 2009.

[7] P. Dupont, «Les données des dossiers passagers (PNR) dans le transport aérien», Revue française de droit aérien et spatial, vol. 278, n° 2, 2016.

[8] Ibidem.

[9] Ibidem.

[10] Ibidem.

[11] https://www.congress.gov/bill/107th-congress/senate-bill/1447/text.

[12] P. Dupont, «Les données des dossiers passagers (PNR) dans le transport aérien», Revue française de droit aérien et spatial, vol. 278, n° 2, 2016.

[13] Direct. UE n° 2016/681 du Parlement européen et du Conseil, 27 avr. 2016, JOUE, n° L110, 4 mai.

[14] Ibidem.

[15] P. Dupont, «Les données des dossiers passagers (PNR) dans le transport aérien», Revue française de droit aérien et spatial, vol. 278, n° 2, 2016.

[16] Article R. 232-12 du Code de la Sécurité intérieure.

[17] P. Dupont, «Les données des dossiers passagers (PNR) dans le transport aérien», Revue française de droit aérien et spatial, vol. 278, n° 2, 2016

[18] Sénat, Commission des lois, Rapport n° 401 : La proposition de décision-cadre relative à l’utilisation de données des dossiers passagers à des fins répressives, présenté par M. Simon Sutour et M. Yves Détraigne, 13 mai 2009.

[19] Ibidem.

[20] P. Dupont, «Les données des dossiers passagers (PNR) dans le transport aérien», Revue française de droit aérien et spatial, vol. 278, n° 2, 2016.

[21] Sénat, Commission des lois, Rapport n° 401 : La proposition de décision-cadre relative à l’utilisation de données des dossiers passagers à des fins répressives, présenté par M. Simon Sutour et M. Yves Détraigne, 13 mai 2009.