Droit d’accès & open government
au Mexique
par Ricardo GARCÍA DE LA ROSA, Professeur de droit à l’Institut Technologique Autonome
du Mexique ITAM, Mexico, Mexique.
Le
droit à la liberté d’expression et son indissociable corollaire, la liberté d’information,
constituent des prérequis indispensables à l’établissement et au maintien de
ces principes dans toute construction ou transition démocratique. Il se fonde
sur l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui
garantit à tous « le droit de chercher, de recevoir et de répandre les
informations et les idées par quelque moyen que ce soit ». Être en mesure d’accéder à l’information publique est en effet un
élément essentiel de la bonne gouvernance et l’un des aspects qui permet d’évaluer
la gestion démocratique et l’ouverture d’une société à la participation des
citoyens. L’accès à l’information permet aux citoyens d’évaluer les actions de
leurs institutions et gouvernements ; il constitue la base pour
un débat éclairé.
Le
mouvement en faveur de l’accès aux documents publics s’est traduit par
plusieurs générations de lois et il connaît une véritable explosion depuis une
dizaine d’années. Apparu au Siècle des Lumières, le droit d’accès à
l’information a été progressivement reconnu et mis en œuvre aux XIXe
et XXe siècles. La Suède a été le premier pays à ouvrir l’accès aux
documents publics avec la loi sur la liberté de la presse de 1766 et elle est
restée le seul pendant près de 200 ans.
Cette loi a établi le principe de publicité et de transparence de
l’administration : l’« offenlighetprincip ». La
Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a affirmé
dans son article 15 que « la
société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », mais ce principe prometteur est resté longtemps théorique[1].
Depuis
le début des années 2000, plusieurs pays ont lancé des initiatives visant
« le droit d’accès à l’information et la transparence du
gouvernement », qui vont de la divulgation proactive des données de
l’Administration à une démarche plus globale d’élaboration interactive des
politiques avec les citoyens. Ce processus, désigné aussi sous le nom de « cybergouvernement », de « gouvernance électronique » ou de « participation en ligne », permet aux citoyens non
seulement d’avoir un accès électronique aux documents et services de
l’Administration, mais aussi de formuler des commentaires sur des points aussi
divers que les problèmes de service, les statistiques et les politiques.
Certains
pays pratiquent déjà la divulgation proactive des documents de
l’Administration, mais l’accroissement des technologies électroniques ouvre de
nouvelles perspectives. Ce sont par exemple des portails qui facilitent l’accès
des citoyens à des données brutes qu’ils pourront analyser par eux-mêmes, des
bases de documents gouvernementaux consultables en ligne et des mécanismes de
demande d’accès. La divulgation proactive et l’accès libre aux données sont en
train de devenir les fondements de ce qu’on appelle parfois le « gouvernement 2.0 »[2].
À
la fin de 2009, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de
l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ont tous fait d’importantes annonces sur
le lancement d’initiatives d’accès libre aux données et de divulgation proactive.
D’autres pays, comme le Mexique, l’Inde et la Finlande, pratiquent depuis un
certain temps une forme ou une autre de divulgation proactive.
La
présente intervention fait un point sur le système de divulgation proactive du
Mexique, en passant d’abord sur les états des lieux du droit d’accès à
l’information (§ 1). Elle traite ensuite, de l’ouverture et l’accès au pouvoir
judiciaire au Mexique ; concrètement, de la Cour
Suprême mexicaine (§ 2), pour finir avec quelques idées concernant le nouveau
système de justice criminelle au Mexique (§ 3).
Au
Mexique, la loi nationale en vigueur exige la divulgation
proactive en ligne de 17 catégories de renseignements gouvernementaux dans
un format électronique accessible. Cette loi impose également
à l’État l’obligation positive d’aider les particuliers en leur fournissant, au
besoin, l’accès à un ordinateur pour consulter ces renseignements,
exigence qui a peut-être été ajoutée en raison de problèmes d’infrastructure.
Selon les statistiques actuelles, environ 23 millions de personnes
seulement, soit 20 % de la population, ont régulièrement accès à Internet
au Mexique[3].
Les
catégories de renseignements à divulguer portent entre autres sur les finances
publiques et la dette, les budgets et les dépenses des ministères, les
résultats de vérification, la nature et l’application des programmes de
subventions ainsi que sur chacun des contrats accordés par le gouvernement. La loi exige en outre de façon générale la divulgation
proactive de « tout autre renseignement pouvant être utile ou jugé
pertinent », y compris les études statistiques et les réponses aux
« questions les plus souvent posées » par le public.
Le
Mexique a un portail central sur l’obligation de transparence qui permet à ses
citoyens d’accéder à tous les renseignements ; l’information y est
organisée par rubriques, en fonction des 17 catégories prévues par la loi. Le portail lui-même n’est pas géré par le gouvernement
mexicain, qui diffuse les renseignements sur les différents sites Web de ses
organismes ou ministères. Il est plutôt géré par l’INAI (Institut national
d’accès à l’information publique et de la transparence),
organisme autonome de surveillance créé aux termes de la loi de 2003 et dont les activités ont fait l’objet d’études à
l’échelle internationale depuis ses débuts. Le portail de l’INAI sert à
concentrer, en un guichet facilement accessible pour la population, tous les
renseignements gouvernementaux qui ont été divulgués de façon proactive[4].
Actuellement,
la Cour suprême mexicaine est composée de onze magistrats (dits ministros),
dont deux femmes, siégeant trois fois par semaine dans une assemblée plénière
et une fois par semaine dans l’une des deux chambres (Salas),
spécialisées par matières (droit civil/pénal et droit administratif/du
travail). L’assemblée plénière reçoit les deux procédures contentieuses qui
relèvent du conflit de compétences (controverses constitutionnelles et recours
en inconstitutionnalité) ; et les chambres examinent
en majorité des aspects de constitutionnalité de décisions de justice soumises
à la Cour via la procédure d’amparo. Il faut noter qu’un nombre non
négligeable de procédures d’amparo est sollicité par l’assemblée
plénière, qui peut s’autosaisir quand les deux chambres défendent des thèses
contradictoires ou simplement quand elle l’estime nécessaire (sur proposition
de l’un de ses ministros)
La
réforme de juin 2011 introduit au Titre I de la Constitution l’expression « droits de l’homme et leur garantie » qui remplace l’ancienne
notion de « garanties individuelles ». Cette rédaction permet au
texte d’acquérir une qualité supplémentaire, un aspect militant, dans un champ
d’action en extension progressive.
En
effet, l’extension du nouveau champ d’action exige encore la volonté manifeste
des juges de compléter la réforme de l’article 1er. En ce sens,
la Cour suprême a récemment reconnu l’existence d’intérêts diffus, partant
d’une interprétation qui a permis d’étendre la sphère de la protection
juridictionnelle, apanage jusque-là de la procédure d’amparo (et
limitée, par définition, à la réparation des atteintes subies par un individu,
à condition que la réalité desdites atteintes ait pu être démontrée pendant le
procès).
Par
ailleurs, les dispositions de la loi nationale du droit d’accès à l’information
au Mexique touchent aussi le système judiciaire. Les 17 rubriques (salaires,
organisation, structures, fonctions, etc.) sont applicables à tous les
tribunaux, y compris la Cour Suprême.
Un
des symboles les plus reconnus de la transparence au sein du pouvoir judiciaire
mexicain est que toutes les assemblées plénières de la Cour Suprême sont
publiques ; bien plus, elles sont télévisées et diffusées par
chaîne de télévision appartenant au pouvoir judiciaire. Cela permet de voir les
principales discussions et débats entre magistrats des cas judiciaires le plus
importants du pays.
Par
exemple, grâce à cette nouvelle notion de droits diffus, il devient possible
aux individus de saisir la justice fédérale par la voie des préjudices
abstraits. Comme exemple de préjudice abstrait, je citerai l’affaire du site
archéologique maya de Tulum, situé sur le territoire de la municipalité de
Tulum, dans l’État du Quintana Roo, qui risquait d’être endommagé par
l’urbanisation des sites touristiques bordant la réserve écologique[5].
Le
cas du mariage homosexuel et de l’adoption par des personnes homosexuelles est
un autre exemple de tous les débats qui sont diffusés par la chaîne de la
télévision judiciaire constituant un exercice important de transparence
concernant les décisions prises par le tribunal constitutionnel mexicain[6].
La
consultation des arrêts et des précédents est toujours disponible sur le site
web de la Cour Suprême.
Depuis
des décennies, divers acteurs sociaux, politiques et académiques avaient
signalé l’épuisement de notre système judiciaire mixte au niveau national.
C’est dans ce contexte d’usure de la justice qu’est apparue la nécessité de
repenser le modèle de justice pénale au Mexique.
Il
s’agit peut-être de l’une des réformes les plus importantes. Normalement, au
Mexique les réformes partent du niveau fédéral (national), en tant que
propositions des parties et/ou du gouvernement ou des groupes parlementaires au
Congrès de l’union (assemblée), puis arrivent aux États. En l’occurrence, cela
s’est passé de manière complètement différente : cette initiative
citoyenne est devenue une loi qui a été portée depuis les États vers l’Union.
Aujourd’hui, c’est dans le cadre local que l’on a les meilleurs résultats, qui
sont pris en exemple pour impulser la réforme au niveau national.
Quelques
caractéristiques du nouveau système pénal accusatoire contradictoire ?
Fondamentalement,
il faut dire que ce système est plus transparent, puisqu’on sait exactement ce
qui est en train de se produire. Tant la personne soupçonnée d’avoir commis le
délit (l’inculpé) que la victime de l’acte délictuel ont la possibilité de suivre
la procédure. Dans le nouveau système, il existe une assistance technique
professionnelle, à travers un assistant technique juridique, qui accompagnera
la victime – si elle le sollicite – à toutes les étapes du processus. De même,
il y a un défenseur technique (agréé et professionnalisé dans ce nouveau
système de justice pénale). Le juge peut rejeter le défenseur technique s’il ne
lui reconnaît pas la capacité requise pour assister le client. Le ministère
public du Mexique ne devra pas seulement rechercher les aveux de l’inculpé, il
aura aussi un rôle d’enquêteur et devra construire un dossier.
D’autre
part, on trouvera les figures du médiateur et du conciliateur, pour les délits
mineurs qui n’ont pas d’impact sur la communauté. Dans ces cas, on fondera la
réparation du dommage dans le fait que l’inculpé assumera sa responsabilité.
Cela réduit la durée des procédures, mais aussi, et c’est important, augmente
l’effectivité de l’indemnisation du dommage qui est une autre des questions au
centre de ce système.
De
plus, le juge, auparavant assis derrière un bureau, est désormais présent et
visible durant le processus, et peut ainsi le suivre en direct et connaître les
deux parties. Il peut interroger et interpeller et disposer ainsi d’éléments
d’analyse apportés durant le procès. C’est très important dans la connaissance
du dossier pénal[7].
Nous
sommes confiants dans le fait qu’avec le nouveau système une grande part des
procédures pénales seront résolues plus rapidement grâce aux « phases précoces » (médiation, conciliation)
et aux « solutions alternatives » (résolution de procédure)
pour résoudre les processus pénaux mineurs. Ainsi, nous réserverons les
jugements oraux, avec des éléments probatoires scientifiques, aux délits de
grand impact social. On pourrait dire qu’un élément essentiel de ce système et
de ses procédures est qu’il conduit au respect du droit à un procès équitable,
au respect des droits humains de toutes les parties impliquées.
Tout
ceci nous conduira, lentement mais sûrement, au désengorgement des maisons
d’arrêt, à une meilleure réinsertion sociale, ce qui constituera un cercle
vertueux pour la prévention, la conscience de ce qu’est la justice alternative,
l’attention précoce aux délits et finalement la réinsertion des personnes qui
retrouvent la liberté.
La
justice mexicaine a une vocation a être de plus en
plus ouverte. Elle est obligée. Le Mexique adopte une réforme historique avec
ce nouveau système de justice pénale désormais en vigueur sur tout le
territoire. Alors que l’impunité bat des records, que les prisons sont
surpeuplées et la corruption endémique, l’enjeu est de taille pour le
gouvernement : regagner la confiance des Mexicains.
Amparo en révision 86/2012, « Amparo contre le refus de
l’IMSS d’assurer un couple de même sexe » du 28
mars 2012.
Canavaggio
P., Vers un droit d’accès à l’information
publique, UNESCO, 2014.
Davies
A., D. Lithwick, Gouvernement 2.0 et accès à
l’information – 2 : Le point sur la divulgation proactive et le libre
accès aux données aux États-Unis et dans d’autres pays, Étude Générale,
Bibliothèque du Parlement, Publication nº 2010-15-F, Ottawa, Canada, 2010.
Ferrer Mac-Gregor E. et Sánchez
Gil Rubén, El Nuevo Juicio de
Amparo y el Proceso Penal Acusatorio, UNAM, México, 2013.
Recours en inconstitutionnalité 72/2008, « Parc national de Tulum,
réserve écologique protégée » et « Site archéologique
Tulum-Tancah » du 13 mai 2011.
[1] P. Canavaggio, Vers un droit d’accès à l’information publique,
UNESCO, 2014, p. 9.
[2] A. Davies et D. Lithwick, Gouvernement 2.0 et accès à l’information – 2 : Le point
sur la divulgation proactive et le libre accès aux données aux États-Unis et
dans d’autres pays, Étude Générale, Bibliothèque du Parlement, Publication
nº 2010-15-F, Ottawa, Canada, 2010, pp. 1-2.
[3] Ley Federal de Transparencia
y Acceso a la Información Pública, disponible en ligne sur le site : http://www.dof.gob.mx/avisos/2493/SG_090516/SG_090516.html.
[4] Voir le site : www.snt.org.mx.
[5] Recours en inconstitutionnalité 72/2008, « Parc national de Tulum,
réserve écologique protégée » et « Site archéologique
Tulum-Tancah »
du 13 mai 2011.
[6] Amparo en révision 86/2012, « Amparo contre le refus de
l’IMSS d’assurer un couple de même sexe » du 28 mars 2012.
[7] E. Ferrer Mac-Gregor et R. Sánchez
Gil, El Nuevo Juicio de Amparo y
el Proceso Penal Acusatorio, UNAM, México, 2013, pp. 51-58.