Accès au droit & Droit d’accès dans la société de l’information

par Névine LAHLOU, Doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

 

 

«Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément»
Boileau

 

Il semble ainsi que la conception claire de certains principes est fondamentale pour en permettre leur expression, leur reconnaissance, et par là même, leur application. Cette problématique se retrouve s’agissant des notions de droit d’accès à l’information publique et d’accès au droit. Si ces dernières semblent s’opposer de prime abord, il est difficile de nier les relations étroites qui les lient. Une simple analyse littérale de leur structure permet de faire ressortir les mots «droit» et «accès». Leur objectif serait donc de permettre un certain accès au droit. Cette analyse littérale est, évidemment, insuffisante pour comprendre les enjeux qui se nouent autour de ces notions.

Ces principes ont en effet un véritable rôle à jouer dans une société démocratique, protégeant le citoyen et lui conférant certains droits. L’interrogation quant à l’étendue de ces droits et leur matérialité amène nécessairement à la confrontation entre ces deux notions. Il appartient en conséquence de réaliser un travail de définition, afin de pouvoir parvenir à une analyse pertinente et utile de ces principes.

Ainsi, le droit d’accès à l’information publique se focalise sur le matériau brut de notre société, à savoir les données[1] circulantes et leurs utilisations par les différents acteurs qui la forment. Cette notion se fonde donc sur un idéal de société exigeant transparence, partage de l’information, et participation du public à la vie démocratique. Ce droit se matérialise par plusieurs sous-droits, qui permettent d’en garantir son effectivité.

L’accès au droit des citoyens (parfois appelé «Droit au Droit» dans sa conception la plus large) a quant à lui pour objectif de permettre aux citoyens de ne pas être démunis face au droit. Le droit peut en effet s’avérer complexe, obscur et déstabilisant pour le citoyen lambda. Or un citoyen sera confronté au droit toute sa vie, que ce soit dans son quotidien, ou de manière plus symptomatique, lors d’une procédure judiciaire dont il sera l’acteur premier.

Ces notions se révèlent par ailleurs être en essor, notamment grâce aux nouvelles technologies. Elles connaissent des avancées réelles, ces avancées prenant la forme de nouveaux services publics, de nouvelles lois, mais également de manière plus large d’une transformation de la société en elle-même. La Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) a pu préciser s’agissant de l’accès aux documents publics que «les nouvelles technologies influent sur les conditions d’accès aux documents administratifs et ont participé à la montée en puissance des questions de réutilisation des données publiques, à l’enjeu économique non négligeable»[2]. De même, l’accès au droit se trouve transformé, Internet ayant facilité l’accès à l’information juridique en ligne, sous sa forme brute (comme sur le site Internet https://www.legifrance.gouv.fr/) ou sous des versions plus explicatives (comme sur le site Internet https://www.service-public.fr/ par exemple). La mutation de ces notions se traduirait par un essor certain, leur conférant une nouvelle voix et une nouvelle reconnaissance propre.

Leurs définitions juridiques s’avèrent néanmoins restreintes, démontrant un retard dans la construction juridique de ces notions. Plus encore, leur matérialisation concrète dans la loi apparaît parcellaire. Une reconnaissance juridique de ces notions leur donnerait en conséquence une véritable existence, et permettrait au citoyen de mieux comprendre et situer ses droits et devoirs.

Ainsi, il est concevable de réfléchir sur leur but commun, qui se manifeste comme étant le droit à l’information. Pierre CATALA s’interrogeait assez justement en ce sens, proposant une ébauche d’une théorie juridique de l’information[3]. Selon cet auteur, «l’informatique et la télématique opèrent sur un dénominateur commun : l’information»[4]. Les conceptions juridiques distinctes comme le droit d’accès à l’information publique et l’accès au droit ne seraient que des conceptions divisibles formant un tout, ce tout se rapportant à un seul et unique droit à l’information.

Cet article a ainsi pour objectif de confronter des notions qui semblent voisines (§1) afin de permettre leur mise en relation, de comprendre leurs interactions et leurs différences, mais aussi et surtout de permettre une reconnaissance de ces notions juridiques de manière accrue, cette reconnaissance étant garante de leur effectivité (§2).

§ 1 – Des notions aux caractéristiques similaires

Les notions de droit d’accès à l’information publique et d’accès au droit ont comme point commun d’être consubstantielles à l’État de droit et à la démocratie, de par les valeurs qu’elles incarnent (A), ayant des sources multiples et disparates (B).

A) Des notions consubstantielles à l’État de droit et à la démocratie 

Le droit d’accès à l’information publique trouve, en France, ses fondements dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce droit existe de manière plus ancienne dans certains pays, la Suède ayant connu son émergence extrêmement tôt dans l’histoire, en 1766[5].

L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) précise ainsi que «la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration»[6]. Le terme «demander compte» est extrêmement fort, et traduit une obligation pour l’administration d’être la plus transparente possible dans ses actions. En édictant cet article, les constituants ont entendu réagir face à la tradition du secret imposée par le souverain[7]. L’accès à l’information était en effet initialement un privilège accordé par le souverain à quelques élus[8]. La Révolution française aura pour objectif d’abolir cette tradition du secret en rappelant la transparence de l’administration, conçue comme la représentation du pouvoir étatique fort. La loi française de 1794 relative à l’accès aux archives illustre une des premières manifestations concrètes de ce droit d’accès à l’information[9].

Le second pendant historique du droit d’accès à l’information publique se matérialise dans les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen posant le principe de la liberté d’expression et de la libre communication des pensées et des opinions. Les citoyens ne seraient plus muselés dans leur expression par le pouvoir souverain, et pourraient non seulement s’exprimer, mais également interroger le pouvoir en place. Le droit d’accès à l’information publique se découpe ainsi en un droit de dire et un droit d’interroger.

L’accès au droit n’a quant à lui jamais fait l’objet d’une reconnaissance constitutionnelle explicite. La reconnaissance de plusieurs principes ayant valeur constitutionnelle a permis cependant d’asseoir théoriquement et effectivement la nécessité de garantir l’accès au droit.

Le Conseil constitutionnel a pu rappeler cet élément dans sa décision du 16 décembre 1999 n° 99-421[10]. C’est notamment le cas du principe d’égalité, proclamé dans l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits»[11]. L’égalité entre les citoyens étant l’essence de tout droit, l’État a fini par s’en saisir pour en permettre le respect. Cette obligation découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel «Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution». L’État a une obligation de garantir effectivement les droits de ses citoyens, cette obligation pouvant se présenter en fonction des droits en cause, comme une obligation de moyen ou de résultat.

Il faut rappeler qu’historiquement, l’accès au droit a été pris en charge par les avocats, ces derniers étant «les seuls à veiller à l’accès au droit des plus défavorisés [en] créant des bureaux de bienfaisance qui organisaient la gratuité de leurs services», et ce jusqu’à ce que «la situation se renverse et qu’en 1851 une loi vient instituer l’assistance judiciaire»[12]. Il a donc fallu attendre plusieurs années avant que l’État ne se saisisse de la question de l’accès au droit, mettant fin à des siècles de prise en charge par les avocats et la charité chrétienne.

L’accès au droit a donc des fondements théoriques plus anciens que le droit d’accès à l’information publique. Néanmoins il est possible de constater que les fondements de ces deux notions reposent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, leur conférant une forme de protection juridique similaire.

B) Des notions aux sources multiples et disparates

Il est possible de constater que l’accès au droit et le droit d’accès à l’information publique ont comme point commun d’avoir des sources de reconnaissance aussi disparates que multiples. Nous nous focaliserons sur les plus importantes, tant ces sources sont nombreuses.

S’agissant du droit d’accès à l’information publique, il a fallu attendre la loi du 17 juillet 1978 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques pour que ce droit connaisse une application plus généralisée au sein de la société. Cette loi institue en particulier la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Plus encore, le «droit des administrés à l’information» est expressément revendiqué dans l’article 1er de ce texte, qui se focalise sur la «liberté d’accès aux documents administratifs de caractère non nominatifs»[13]. D’autres lois permettent de garantir le droit d’accès du public à l’information, comme les dispositions concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement[14]. Ce droit d’accès ne porte pas sur des documents, mais sur des informations, ce qui étend considérablement son champ.

Plusieurs directives, dont la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, donnent un caractère européen à la reconnaissance de ce droit, et une toute nouvelle notoriété. La question de l’accès aux informations du secteur public, mais également à leur réutilisation se pose en nouvel enjeu de démocratie et de légitimité au sein des institutions, qu’elles soient nationales ou supranationales.

Le mouvement international de reconnaissance du droit d’accès à l’information publique se cristallise quant à lui par l’adoption de la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics de 2009. Il s’agit du «premier instrument international contraignant qui reconnaisse un droit général d’accès aux documents détenus par les autorités publiques»[15]. L’article 2 de la Convention indique que «Chaque Partie garantit à toute personne, sans discrimination aucune, le droit d’accéder, à sa demande, à des documents publics détenus par des autorités publiques». Le préambule de la Convention du Conseil de l’Europe énonce ainsi que «tous les documents publics sont en principe publics et communicables, sous réserve, seulement, de la protection d’autres droits et intérêts légitimes». Cette notion se fonde ainsi sur un idéal de société exigeant transparence, partage de l’information, et participation du public à la vie démocratique. 

La notion de droit d’accès à l’information publique a en conséquence une dimension internationale, au regard de l’engagement pris par certains États de permettre au citoyen d’accéder aux documents publics détenus par des autorités publiques. En revanche, l’accès au droit se rapporte à un pouvoir essentiellement national, mis en œuvre de manière graduée au sein des États. C’est donc à l’État de définir sa politique en matière d’accès au droit, étant précisé que certains aspects fondamentaux comme le droit à un procès équitable, considérés comme les pendants de l’accès au droit, font l’objet de contrôles concrets par la Cour européenne des droits de l’homme ou encore la Cour de justice de l’Union européenne.

En France, la notion d’accès au droit s’est ainsi pour la première fois matérialisée dans la loi du 22 janvier 1851 relative à l’assistance judiciaire, avec comme fondement le principe d’égalité[16]. L’article 1er de cette loi visait spécifiquement les «indigents», soit les pauvres et les nécessiteux[17]. Plusieurs lois successives ont permis d’asseoir les principes et avancées contenus dans la loi du 22 janvier 1851, ces textes se concentrant sur les besoins pécuniaires des justiciables[18]. La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique bouleverse la conception de l’accès au droit, car elle introduit la volonté de l’État de réduire d’autres inégalités de fait, en mettant en place, parallèlement à l’aide juridictionnelle, le système «d’aide à l’accès au droit». L’État reconnaît désormais le besoin d’accompagnement du citoyen confronté à une situation juridique particulière, que cette situation soit portée en justice ou non[19]. Néanmoins, cet accompagnement demeure limité, ne prenant pas en compte les besoins du citoyen dans une société de l’information.

Un basculement dans la conception de l’accès au droit s’opère en effet avec l’essor des nouvelles technologies. Le citoyen, désormais proactif, se renseigne sur ses droits sur Internet. Dès lors, la compréhension de la norme par le citoyen paraît primordiale. C’est dans cette logique que le Service public de l’accès au droit (Légifrance) est créé en 1999[20]. De même, plusieurs services vont voir le jour, comme le site www.service-public.fr. Une prise de conscience globale des acteurs de la société émerge progressivement. C’est dans cette optique que la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dispose en son article 2 que : «Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par le présent chapitre en ce qui concerne la liberté d’accès aux règles de droit applicables aux citoyens». L’accès au droit devient une priorité en termes de communication, et de légitimation des autorités en place.

Un autre basculement s’opère lorsque le Conseil Constitutionnel reconnaît l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité du droit dans sa décision du 16 décembre 1999[21], puisque l’accès au droit pourrait être garanti par l’intelligibilité et l’accessibilité du droit, prises en compte en amont lors de la rédaction des normes[22]. Cet objectif est rattaché au principe de clarté de la loi, découlant de l’article 34 de la Constitution[23]. En tout état de cause, la clarté de la loi découlerait de l’impératif de prévisibilité des normes. L’État se voit investi de plusieurs obligations de résultat inhérentes à l’impératif de prévisibilité du droit par le citoyen. C’est le cas de l’obligation de publication de la loi au Journal officiel[24], permettant de corroborer l’adage nemo censetur ignorare legem[25] et d’émettre une présomption de connaissance par le citoyen de la norme. Cette obligation de publication se double désormais d’une obligation de diffusion du droit, mise initialement en œuvre par Légifrance.

Les notions de droit d’accès à l’information publique et d’accès au droit ont donc comme point commun leur multitude de sources, ces sources s’avérant disparates. Malgré cette multitude, il est cependant intéressant de constater que ces notions sont comprises de manière intuitive par les citoyens, nonobstant leur définition juridique, qui s’avère restreinte.

§ 2 – Des notions ayant pour but commun l’accès à l’information

Les notions de droit d’accès à l’information publique et d’accès au droit sont mal définies dans les textes, leur conception doit être prise plus largement (A). L’objectif de ces deux notions est commun, et tend vers la modélisation d’une théorie juridique de l’information (B).

A) Des notions dépassant les définitions juridiques existantes

Un autre point commun de ces deux notions est leur difficile appréhension, si l’on s’en tient aux définitions telles que conçues dans les textes.

Le droit d’accès à l’information publique connaît des définitions juridiques que l’on pourrait caractériser de parcellaires. Ainsi, l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose la possibilité pour le citoyen de demander des comptes à tout agent public de son administration. La conception novatrice de ce principe lors de son adoption connaît cependant des limites au regard de l’évolution de la société et des droits et libertés des individus depuis 1789. Ce principe ne se conçoit ainsi qu’en un droit de demander des comptes, alors que l’administration se devrait en réalité de diffuser par elle-même des informations afin de démontrer qu’elle est la plus transparente dans ses actions, sans attendre une demande de la part des usagers. De même, cet article ne conçoit que le cas où la société demande des comptes à un agent public, alors que tout organe de l’État devrait pouvoir rendre des comptes à la société. Les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont par ailleurs conçus comme un droit d’expression et de libre communication des idées et des opinions, et ne peuvent suffire en eux-mêmes pour comprendre le droit d’accès à l’information publique.

Si l’on s’attarde ensuite sur la définition issue de la loi du 17 juillet 1978, on constate que cette dernière se focalise sur la «liberté d’accès aux documents administratifs de caractère non nominatifs»[26]. Or, le droit d’accès à l’information publique ne recoupe pas que le droit d’accès aux documents administratifs, mais bien à l’information publique de manière générale. Ainsi, une autre question qui a pu se poser est celle des données publiques communicables. Que sont ces données publiques? Comment les définir et les caractériser? Leur définition a pu poser problème, dans la mesure où la loi du 17 juillet 1978 ne visait que des documents et non de manière réaliste et extensive, des données[27]. La définition doctrinale serait en conséquence plus large, considérant «comme donnée publique celles qui sont tout simplement produites ou collectées au cours du fonctionnement d’une activité de service public, soit par une personne publique, soit par une personne délégataire»[28].

Les définitions juridiques conçues dans les textes ne seraient en réalité qu’une matérialisation concrète d’un principe général de droit d’accès à l’information publique, et non une définition de ce principe en lui-même.

Perrine Canavaggio a pu établir assez justement que le droit d’accès à l’information publique «impose deux obligations aux gouvernements : d’abord celle de publier et diffuser les informations essentielles sur les activités des organismes publics. Ensuite celle de répondre aux demandes du public et de lui fournir les documents ou l’information qu’il sollicite»[29]. Cette double obligation pour l’État permet de garantir la transparence de la société, d’encourager le débat et la participation du public. Le droit d’accès à l’information publique serait également appelé «liberté de l’information (Freedom of information), droit d’accès aux documents administratifs ou aux documents publics, transparence administrative, droit de savoir»[30]. À l’heure du numérique, l’information allant de plus en plus vite, le devoir de l’État et de l’administration d’être transparent se fait de plus en plus prégnant.

La notion d’accès au droit n’est quant à elle jamais véritablement définie dans la loi. La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 semble apporter une forme de définition, indiquant dans son article 53 que «Laide à l’accès au droit comprend l’aide à la consultation et l’assistance au cours de procédures non juridictionnelles». Cependant ce n’est pas l’accès au droit en tant que tel qui est visé, mais «l’aide à l’accès au droit». L’accès au droit semble restreint à son aspect matériel, et corrélé à l’accès à la justice. Cette corrélation est confirmée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, modifiant l’article L. 111-2 du code de l’organisation judiciaire de la manière suivante : «Le service public de la justice concourt à l’accès au droit et assure un égal accès à la justice». Certes ces définitions sont intéressantes, mais elles ne prennent pas en compte toutes les manifestations de l’accès au droit tel que vu précédemment.

L’accès au droit se développe en effet par le biais des nouvelles technologies, les citoyens se rendant de plus en plus sur Internet, et se renseignant sur leurs droits et devoirs sur des sites divers (gouvernementaux, associatifs, sur des forums, etc.). Cantonner la conception de l’accès au droit à un simple accès au droit matériel et physique serait de la sorte erroné. À cet égard, l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi énoncé par le Conseil Constitutionnel[31] est plus en accord avec ce qu’est effectivement la notion d’accès au droit.

Il est en outre possible de considérer que la mise en œuvre de la notion d’accès au droit, prise comme un accès aux droits permet la correcte mise en œuvre du droit d’accès à l’information publique. À ce titre, la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) considère que «consulter un document administratif, en obtenir une copie, sur différents supports et dans les conditions souhaitées par le demandeur, est un élément essentiel pour assurer la transparence administrative. Pour les citoyens, c’est aussi le moyen de poursuivre la réalisation de certains droits. Accès aux documents administratifs et libertés fondamentales entretiennent ainsi des liens étroits»[32]. L’accès à l’information publique n’est ainsi, au regard de notre analyse, qu’un sous-ensemble de l’accès au droit, conditionné par l’appréhension de la notion d’accès au droit de manière extensive, et non cantonnée aux définitions limitatives posées par les normes actuelles.

La mutation des notions de droit d’accès à l’information publique et d’accès au droit est par ailleurs en partie due à l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il est aisé de constater que les définitions légales existantes paraissent réductrices, et que leur conception réelle doit être considérée comme étant plus large que ces dernières.

B) Des notions partageant un but commun : l’accès à l’information

Les notions de droit d’accès à l’information publique et d’accès au droit ont pour but commun de permettre l’accès à l’information, cette information étant selon les cas administrative ou juridique.

Le droit d’accès à l’information publique se focalise sur l’information publique, produite par l’État et ses acteurs. Le champ des acteurs concernés par ce devoir de publication, de diffusion, de réponse au public est donc très étendu, et touche l’administration de l’organe de l’État, mais aussi toutes les représentations issues d’une élection par le peuple. C’est notamment le cas d’une commune, qui devrait répondre à cette obligation de transparence.

L’accès au droit a également une conception plus large, se focalisant en partie sur la compréhension et la réception de l’information juridique par le citoyen, produite par les producteurs de norme ou de décision ayant des conséquences sur la vie de ces citoyens. La transparence dans la réalisation de la norme en amont (comment la loi est créée, puis comment elle est diffusée, puis reçue par le citoyen), mais également la transparence des décisions judiciaires émises par les juges (comment la décision est formée, puis comment elle est diffusée, et reçue par le citoyen), permettraient d’accroître l’accès au droit des citoyens. Le terme de «Droit au Droit» est en conséquence préféré pour parler d’accès au droit.

Si l’on s’attarde à nouveau sur la définition émise par Perrine Canavaggio, on constate que le droit d’accès à l’information publique se rapporte à une obligation de publication et de diffusion des informations essentielles sur les activités des organismes publics, ainsi qu’à une obligation de réponse aux demandes du public quant aux fournitures de documents et d’informations que ce dernier sollicite[33]

L’accès au droit, dans son volet dématérialisé, comporte également une dimension nécessitant la publication et la diffusion d’informations essentielles par les organismes publics. La nécessité de publication est matérialisée par la publication des lois au Journal officiel tandis que l’obligation de diffusion est matérialisée par la diffusion des décisions de justice sur le site Légifrance.fr, mais également sur les sites des différentes Cours (le site du Conseil Constitutionnel, du Conseil d’État ou encore de la Cour de cassation).

L’apport des nouvelles technologies est considérable, car il a permis au citoyen d’accéder à des informations qui étaient préalablement difficiles d’accès, bien qu’existantes. En effet, le citoyen devait se rendre dans certains cas sur place pour consulter certaines informations, ce qui freinait considérablement leur accessibilité matérielle et physique. Le droit était ainsi auparavant accessible matériellement de manière hypothétique, et non réelle. C’était notamment le cas du Journal officiel sur papier qui s’avérait en pratique complexe à consulter.

Il est intéressant de constater que le droit d’accès à l’information publique et l’accès au droit ont donc des similarités dans les composantes de leur définition. Ce point de friction n’est guère étonnant si l’on adhère à l’ébauche de théorie juridique de l’information développée par Pierre Catala[34]. Cet auteur s’interroge, indiquant que «une fois crée, l’information donne lieu à des processus complexes de transformation et de circulation. Leur réalisation juridique passe par des conventions – parfois originales – où apparaissent des partenaires naguère inconnues (le serveur, le télétransmetteur). En bout de chaîne, le destinataire de la communication, individu ou multitude, fait figure de consommateur. En cette qualité, se verra-t-il reconnaître un droit à l’information, au nom du bon partage du savoir?»[35] L’information apparaît dans cette théorie comme étant un produit de consommation, ce produit ayant une nature particulière du fait de sa valeur unique pour les individus.

En définitive, l’information est au centre des conceptions juridiques définies par le droit à l’ère de la société de l’information. Il est d’ailleurs fort révélateur que la société mue par les nouvelles technologies ait été caractérisée de «société de l’information». Le droit d’accès à l’information et l’accès au droit sont finalement, et en réalité, les composantes d’un seul et même droit universel : le droit à l’information de l’individu. Le droit d’accès à l’information publique s’intéresse aux données publiques produites par les organismes publics et traduisant une transparence de leurs actions et des actions menées par leurs représentants. L’accès au droit s’intéresse quant à lui aux données juridiques produites aux différents moments du cheminement d’une loi : de sa création (ce qui se matérialise par la publication et la diffusion des lois), à sa réception par le citoyen (qui essaie de s’en saisir en amont d’une procédure judiciaire ou encore lors de la mise en œuvre de cette dernière).

D’autres droits sont les composantes de ce droit à l’information comme le droit de savoir afférant au consommateur ou le droit d’expression de l’individu. Une pluralité de sous droits compose en conséquence ce droit à l’information, qui connaît des volets particuliers, dont le droit à l’information juridique de l’individu, le droit à l’information administrative, etc. Le droit à l’information ne se limite ainsi pas aux organismes publics, mais à toute personne, morale ou privée, susceptible de rendre des comptes à la société.

Un travail de réflexion poussé sur la possible unification, ou encore reconnaissance accrue de ces droits devrait ainsi être mené afin d’envisager les possibilités de simplification du droit pouvant possiblement en découler. 

                                                                                                                      BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES

 

ASSIER-ANDRIEU L., Les avocats, Identité, culture, devenir, Gazette du palais, 2011.

CANAVAGGIO P., Vers un droit d’accès à l’information publique, UNESCO, 2014.

CATALA P., Le droit à l’épreuve du numérique : Jus ex Machina, coll. Droit éthique société, PUF, 1998.

FRISON-ROCHE M.-A, «Penser le monde à partir de la notion de “donnée”, Internet, espace d’interrégulation, Marie-Anne Frison Roche (dir.), Dalloz, 2016.

GUGLIELMI G. J., « Numérisation des données publiques et données publiques numériques », La communication numérique, un droit, des droits, Bernard Teyssié (Dir.), Editions Panthéon Assas, 2012.

LEBIGRE A., La justice du Roi, la vie judiciaire dans l’ancienne France, Editions Albin Michel, 1988.

SABATIE E., Commentaire de la loi du 22 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire, Imprimerie et librairie générale de jurisprudence Cosse et Marchal, 1864.

 

ARTICLES

 

BARANES W., M.-A. FRISON-ROCHE, « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi », Recueil Dalloz, 2000, p. 361.

DEREUX M. G., « Étude critique de l’adage "nul n’est censé ignorer la loi" », Revue Trimestrielle de droit civil, 1907, p. 514.

EDEL F., « La convention du conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics : premier traité consacrant un droit général d’accès aux documents administratifs », Revue française d’administration publique, 1/2011 (n° 137-138), pp. 59-78.

JONASON P., « Le droit d’accès à l’information en droit suédois : une épopée de 250 ans », Revue Internationale de droit des données et du numérique, [S.l.], v. 2, mars 2017, p. 37-50.

LANDEAU E., « "Nul n’est censé ignorer la loi" : les difficiles relations entre l’État et le citoyen », Utopie II : les territoires de l’utopie, Quaderni, n° 41, Été 2000. pp. 27-37.

 

JURISPRUDENCE

 

Cons. Const., 16 juillet 1971, déc. n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

Cons. Const., 16 décembre 1999, déc. n° 99-421 DC, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes.

Cons. Const., 27 novembre 2001, déc. n° 2001-451 DC, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

 

 

 



[1] La donnée est définie par M.A FRISON ROCHE comme étant «un élément de fait qu’une personne extrait du monde réel, c’est-à-dire une information. Une donnée est toujours une segmentation du réel, lequel constitue ne masse». Voir M.A FRISON-ROCHE, «Penser le monde à partir de la notion de “donnée” », in M-A FRISON-ROCHE (dir.), Internet, espace d’interrégulation, Dalloz, 2016, pp. 7–16.

[2] CADA, Documents administratifs, Droit d’accès et réutilisation, La documentation française, 2008, p. 7.

[3] P. CATALA, Le droit à l’épreuve du numérique : Jus ex Machina, coll. Droit éthique société, PUF, 1998, p. 224.

[4] Ibid.

[5] P. CANAVAGGIO, Vers un droit d’accès à l’information publique, UNESCO, 2014, p. 10 [http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002268/226875f.pdf]. Voir également pour une étude du droit d’accès à l’information en Suède : P. JONASON, «Le droit d’accès à l’information en droit suédois : une épopée de 250 ans», Revue Internationale de droit des données et du numérique, [S.l.], v. 2, mars 2017, p. 37-50.

[6] La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen faisant partie du bloc de constitutionnalité depuis la décision du Conseil constitutionnel «Liberté d’association», ce droit «à demander compte» a valeur constitutionnelle. Voir Cons. Const., 16 juillet 1971, déc. n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

[7] La lettre de cachet du roi étant l’exemple le plus symptomatique de cette tradition du secret, le roi n’ayant pas de compte à rendre à son peuple, et agissant sans rendre de compte à personne. Dans ce cadre, «la souveraineté s’exprime au premier degré, sans passer par le filtre d’une juridiction chargée d’exercer la justice retenue» : A. Lebigre, La justice du Roi, la vie judiciaire dans l’ancienne France, Editions Albin Michel, 1988, p. 53.

[8] P. CANAVAGGIO, opt.cit. p.10.

[9] Ibid.

[10] Cons. Const., 16 décembre 1999, déc. n° 99-421 DC, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes. Voir pour une analyse de l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité l’article de W. BARANES, M.A. FRISON-ROCHE, «Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi», Recueil Dalloz, 2000, p. 361.

[11] Art. 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

[12] L. ASSIER-ANDRIEU, « Les avocats, Identité, culture, devenir », Gazette du palais, 2011, p. 114.

[13] Loi portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, 17 juillet 1978, n° 78-753.

[14] V. directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement; loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, 26 octobre 2005, n° 2005-1319.

[15] F. EDEL, «La convention du conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics : premier traité consacrant un droit général d’accès aux documents administratifs», Revue française d’administration publique, 1/2011 (n° 137-138), pp. 59-78.

[16] Monsieur Vatimesnil, rapporteur du projet de loi portant sur l’assistance judiciaire, rappelait ainsi que «L’égalité des citoyens devant la loi, si justement proclamée par toutes les constitutions et toutes les chartes, n’est malheureusement qu’un mot vide de sens à l’égard de l’homme qui est hors d’état de remplir la condition nécessaire pour invoquer le secours des lois et s’adresser régulièrement à leurs organes». V. E. SABATIE, Commentaire de la loi du 22 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire, Imprimerie et librairie générale de jurisprudence Cosse et Marchal, 1864, p. 23

[17] Ibid. p. 13

[18] La loi du 10 juillet 1901 sur l’assistance judiciaire précisera que cette assistance est réservée à toute personne ayant des ressources insuffisantes. La loi no 72-11 du 3 janvier 1972 renommera l’assistance judiciaire en «aide judiciaire», visant dans son article premier «les personnes dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice».

[19] L’article 53 de cette loi indique dans la version de 1991 que «L’aide à l’accès au droit comprend l’aide à la consultation et l’assistance au cours de procédures non juridictionnelles». La nouveauté est la création dans chaque département d’un Conseil départemental de l’aide juridique, qui établit les lignes directrices pour l’aide à l’accès au droit dans son département (article 54). Cette aide à l’accès au droit comporte une «aide à la consultation» (article 59) ainsi qu’une «assistance au cours de procédures non juridictionnelles» (article 63).

[20]Arrêté relatif à la création du site Internet Légifrance, 6 juillet 1999.

[21] op.cit. note 10

[22] Ibid.

[23] Le principe de clarté de la loi et l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi sont parfois invoqués ensemble par le Conseil constitutionnel. Dans ce cadre, le Conseil lie volontiers clarté de la loi, telle que découlant de l’article 34 de la Constitution, avec le principe d’intelligibilité de la loi, exigeant de la part du législateur qu’il soit précis et clair lorsqu’il rédige des normes, et ce, notamment, afin de lutter contre les risques d’arbitraire. C’est notamment le cas dans la décision Cons. Const., 27 novembre 2001, déc. n° 2001-451 DC, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.

[24] Art. 1er, alinéa 1 du Code civil : « Les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication ».

[25] Cet adage signifie «Nul n’est censé ignorer la loi».

Néanmoins, la présomption de connaissance du citoyen qui en découle est à tempérer, comme le démontrent les débats doctrinaux à son sujet. M.G. DEREUX estime par exemple que cet adage a le sens d’une «présomption réfragable». Voir M.G. DEREUX, «Étude critique de l’adage "nul n’est censé ignorer la loi"», Revue Trimestrielle de droit civil, 1907, p. 514.

E. LANDEAU considère quant à lui que cet adage «apporte une confusion, […] effectue un renversement de la charge de preuve envers le citoyen […], renversement intolérable dans le cadre de la théorie de la souveraineté». Voir E. LANDEAU, «"Nul n’est censé ignorer la loi" : les difficiles relations entre l’État et le citoyen», Utopie II : les territoires de l’utopie, Quaderni, n° 41, Été 2000. pp. 27-37.

[26]  Art. 1.

[27] G. J. GUGLIELMI, «Numérisation des données publiques et données publiques numériques», in B. Teyssié (dir.), La communication numérique, un droit, des droits, Éditions Panthéon Assas, 2012, pp. 539 – 555.

[28] Ibid.

[29] P. CANAVAGGIO, opt.cit. p. 10.

[30] L’idée de démocratie est particulièrement prégnante. Les pouvoirs et autorités doivent rendre des comptes aux citoyens sans qui ils ne seraient pas détenteurs du pouvoir en leur possession. Il s’agit de légitimer le pouvoir en place en permettant la circulation de l’information. Ainsi, «Tous ces termes se réfèrent à un même droit et partent d’un même principe : dans une démocratie, les pouvoirs publics tirent leur légitimité et leur autorité de la volonté du peuple souverain et ils doivent lui rendre des comptes sur leur action (accountability en anglais, littéralement “le fait d’être comptable de”). En conséquence, les agents publics ne sont pas propriétaires des documents ni de l’information qu’ils détiennent en raison de leurs fonctions, et les citoyens ont le droit d’y accéder et de leur en demander communication », Ibidem, p. 10.

[31] op.cit. note 10.

[32] op.cit. note 2.

[33] P. CANAVAGGIO, opt.cit.

[34] P. CATALA, op.cit. pp. 224–244.

[35] Ibid.