La réutilisation des données issues du système d’immatriculation des véhicule (siv)

par Simon CAQUÉ, Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris (Science Po) en affaires publiques, France.

 

 

La circulation des véhicules sur les voies ouvertes à la circulation publique comporte des enjeux importants en matière de police administrative. Que ce soit en matière de sécurité routière, de lutte contre les trafics illicites ou encore dans le domaine de la protection de l’environnement, la capacité à contrôler les véhicules et leur circulation apparaît comme un corollaire naturel d’une bonne administration. Dès lors, sous réserve qu’ils répondent aux normes techniques de sécurité en vigueur, les véhicules, selon leur catégorie[1], doivent bénéficier d’une autorisation administrative pour circuler sur les voies ouvertes à la circulation publique. En France, cette autorisation, qui est délivrée par le ministre de l’Intérieur, est matérialisée par le certificat d’immatriculation, titre sécurisé communément appelé «carte grise» sur lequel figurent aussi bien des informations personnelles que des données techniques relatives au véhicule.

Ainsi, aux termes des dispositions de l’article L. 330‑1 du Code de la route, «il est procédé, dans les services de l’État et sous l’autorité et le contrôle du ministre de l’Intérieur, à l’enregistrement de toutes informations concernant les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules ou affectant la disponibilité de ceux-ci». En outre, «ces informations peuvent faire l’objet de traitements automatisés». Le principal traitement automatisé en la matière est depuis 2009 le système d’immatriculation des véhicules (SIV), fichier de police administrative mis en œuvre et géré par le ministère de l’Intérieur[2].

Certaines données de ce fichier sont communicables à un certain nombre de destinataires prévus par la loi, comme par exemple les autorités judiciaires ou les services du ministre de la Défense pour l’exercice de ses compétences (art. L. 330‑2 du Code de la route). Toutefois, depuis 2009, plusieurs informations peuvent faire l’objet d’une réutilisation au sens de la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 modifiée en 2013[3].

La mise en œuvre de la réutilisation des données du SIV par le ministère de l’Intérieur est apparue comme singulièrement novatrice, surtout pour une administration dont la nature particulière de ses fonctions régaliennes la prédispose davantage à récolter des données qu’à en diffuser. Au demeurant, de nombreuses réutilisations ont fait florès ces dernières années, témoignant ainsi du succès d’un dispositif permettant des applications concrètes dans la vie courante : fiabilisation des devis d’assurance auto en ligne, vérification de l’historique du véhicule avant achat, possibilité de trouver des pièces détachées avec les bonnes références, etc.

Dans un contexte de mise à disposition croissante des données publiques selon un principe de gratuité, la réutilisation des données du SIV apparaît comme un dispositif à part (§ 1) qui présente des enjeux tout à fait particuliers (§ 2).

§ 1 La réutilisation des données du SIV fait l’objet d’un cadre juridique spécifique et permet la perception d’une redevance au profit de l’état

A) La mise à disposition des données issues du SIV est juridiquement strictement encadrée

Le principe d’une utilisation d’informations figurant dans des documents élaborés ou détenus par les administrations à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été élaborés ou détenus a été posé, en particulier, dans la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. Cette directive a été transposée dans la loi no 78‑753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, dont les dispositions relatives à la réutilisation des données publiques ont été codifiées en 2015 dans le code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Aux termes des dispositions de l’article L. 330‑5 du Code de la route, trois finalités de réutilisation sont autorisées : la première, à des fins statistiques, ou à des fins de recherche scientifique ou historique, sous réserve d’anonymisation des données la deuxième, à des fins d’enquêtes et de prospections commerciales, sous réserve d’un droit d’opposition à la réutilisation des données personnelles la troisième, à des fins de sécurisation des activités économiques qui nécessitent une utilisation de caractéristiques techniques des véhicules fiables, sans communication des nom, prénom et adresse des personnes concernées.

La communication des données issues du SIV pour une ou plusieurs des finalités prévues peut être effectuée à tout tiers préalablement agréé par l’autorité administrative. Conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 330‑7 du Code de la route, cet agrément est matérialisé par une «licence valant agrément pour la réutilisation d’informations publiques issues du système d’immatriculation des véhicules»[4]. Si la licence a l’apparence d’un contrat récapitulant la finalité, les usages ainsi que les droits et obligations de chacun des signataires – ceux-ci étant l’autorité administrative et le licencié –, elle n’en reste pas moins une décision administrative susceptible de recours devant le juge administratif. C’est l’autorité administrative qui signe la licence en dernier lieu, et c’est à la date de sa seule signature que l’agrément prend juridiquement effet. Contrairement à un contrat, il n’y a d’ailleurs pas de négociation possible : aussi bien le type d’information communicable que les conditions techniques et financières de mise à disposition sont strictement encadrés par les textes législatifs et réglementaires. Par ailleurs, aux termes d’une modification de l’article L. 330-5 du code de la route intervenue en 2011[5], la décision de l’autorité administrative peut être précédée d’une enquête administrative, dans les conditions prévues par l’article 17‑1 de la loi no 95‑73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, pour des motifs d’intérêt général liés à la protection des personnes et des biens. Par ces dispositions, l’autorité administrative a ainsi la possibilité de procéder à la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel prévus à l’article 230‑6 du code de procédure pénale.

La spécificité du dispositif se matérialise également lorsque la communication des données du SIV n’est pas susceptible d’être obtenue par un traitement automatisé n’excédant pas un usage courant. Dans ce cas, le demandeur peut toujours s’adresser au ministère de l’Intérieur pour se voir octroyer une licence tel que prévu par le dispositif spécifique de l’article L. 330‑5 du Code de la route (Commission d’accès aux documents administratifs, avis no 20114469 du 22 décembre 2011, Président de l’Agence nationale des titres sécurisés [ANTS]).

B) La mise à disposition des informations issues du SIV est effectuée en contrepartie du paiement d’une redevance

À l’origine, l’article 6 de la directive 2003/98/CE n’empêchait pas que puisse être fixée une redevance due en contrepartie de la réutilisation d’informations publiques. Il importait simplement que «le total des recettes provenant de la fourniture et des autorisations de réutilisation de ces documents ne dépasse pas leur coût de collecte, de production, de reproduction et de diffusion, tout en permettant un retour sur investissement raisonnable.» Ces dispositions ont été transposées par ordonnance en 2005[6] dans la loi no 78‑753 du 17 juillet 1978 dans laquelle un chapitre II consacré à la réutilisation des données publiques a été créé. Ce chapitre comportait un article 15 qui précisait que «la réutilisation d’informations publiques peut donner lieu au versement de redevances». Pour fixer le niveau de cette redevance, l’administration devait tenir «compte des coûts de mise à disposition des informations, notamment, le cas échéant, du coût d’un traitement permettant de les rendre anonymes». Elle avait également la possibilité de «tenir compte des coûts de collecte et de production des informations» et pouvait «inclure dans l’assiette de la redevance une rémunération raisonnable de ses investissements comprenant, le cas échéant, une part au titre des droits de propriété intellectuelle». La notion de «rémunération raisonnable» pouvait susciter quelques débats puisqu’elle n’était pas précisément définie. Tout au plus, ainsi que l’a souligné la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) dans son avis no 20141556 du 30 octobre 2014, Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), «les autres autorités administratives ne peuvent établir une redevance de réutilisation des informations qu’ils fournissent en fonction de la valeur économique de cette prestation pour son bénéficiaire, si ce n’est, le cas échéant, au titre de la rémunération de droits de propriété intellectuelle, pour l’établissement de laquelle la loi ne donne aucune indication autre que l’obligation qu’elle reste raisonnable».

C’est sur le fondement de ces dispositions initiales qu’une redevance due en contrepartie du service rendu, lequel consiste en la mise à disposition des données issues du SIV, a été fixée par un arrêté du 11 avril 2011[7]. La prise d’un texte réglementaire du niveau d’un arrêté est effectivement prévue par les dispositions du décret no 2009‑151 du 10 février 2009 relatif à la rémunération de certains services rendus par l’État consistant en une valorisation de son patrimoine immatériel. Par la suite, conformément à l’article 48‑1[8] du décret no 2005‑1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, prises pour l’application de la loi no 78‑753 du 17 juillet 1978, «les redevances instituées au bénéfice de l’État ou de l’un de ses établissements publics à caractère administratif avant le 1er juillet 2011 demeurent soumises au régime en vigueur avant cette date sous réserve que les informations ou catégories d’informations concernées soient inscrites, dans un délai maximal d’un an à compter de cette date, sur une liste publiée sur le site internet prévu au quatrième alinéa de l’article 38». C’est ce qui a été fait s’agissant de la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des données issues du SIV sur le site internet data.gouv.fr. Sur ce site, la direction d’administration centrale concernée par la redevance est la «direction de modernisation et de l’administration du territoire»[9]. Au 1er janvier 2017, les dispositions de l’article 48‑1 du décret du 30 décembre 2005 sont toujours en vigueur même si l’article 38 dont il est question a été abrogé[10]. En dépit de cela, à cette même date, la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des données issues du SIV figurait toujours bien sur le site internet en question[11]. Nonobstant les diverses modifications législatives relatives au régime des redevances dues en contrepartie de la mise à disposition d’informations publiques ainsi que la nécessité de clarifier certaines dispositions réglementaires en la matière, la tarification était, au 1er janvier 2017, toujours la même que celle fixée par un arrêté modificatif du 31 janvier 2014[12]. Cette tarification tient compte de la finalité tel que prévu par les dispositions de l’article L. 330‑5 du code de la route, du type d’informations demandées — par exemple, des données relatives au titulaire du certificat d’immatriculation, des données techniques relatives au véhicule, etc. —, de la périodicité d’éventuelles mises à jour, ou encore des modalités techniques de mise à disposition. À cela s’ajoute un mode de calcul qui tient compte de la volumétrie des données mises à disposition avec une tarification par tranches.

§ 2 – La réutilisation des données issues du SIV présente des enjeux multiples

A) Le succès du dispositif repose sur des données protégées et fiables

Au-delà du cadre juridique permettant d’utiliser des données publiques pour une finalité différente de celle pour laquelle elles ont été initialement collectées, la réutilisation des données issues du SIV s’appuie sur un cadre particulièrement protecteur. Les dispositions de l’article L. 330-5 du Code de la route sont effectivement très protectrices s’agissant des données nominatives puisqu’elles prévoient un régime spécifique pour chacune des finalités prévues.

Ainsi, s’agissant de la réutilisation à des fins statistiques, ou à des fins de recherche scientifique ou historique, s’il n’est pas nécessaire de recueillir l’accord préalable des personnes concernées, les études réalisées ne doivent en revanche faire apparaître aucune information nominative.

Concernant la finalité d’enquêtes et de prospections commerciale, les dispositions de l’article L. 330‑5 du Code de la route prévoient une mise à disposition des informations sous réserve de l’opposition des personnes concernées selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l’article 38 de la loi no 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiées. À cet égard, aux termes des dispositions dudit alinéa de l’article 38, toute personne physique «a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur». Ainsi, le II de l’article R. 330‑11 du Code de la route prévoit que «toute personne physique peut s’opposer, auprès du préfet du département de son choix, à la communication à des tiers des données à caractère personnel la concernant, en vue de leur réutilisation à des fins d’enquêtes et de prospections commerciales. Cette opposition est notifiée sans délai aux détenteurs d’une licence commerciale». Dans les faits, cette opposition peut être formulée à tout moment par courrier adressé au préfet du département de son choix, ainsi qu’au moment de toute démarche relative à l’immatriculation du véhicule. Il est par exemple possible de s’opposer à la réutilisation de ses données personnelles à des fins de prospection commerciale lors d’une demande de certificat d’immatriculation d’un véhicule via une case à cocher (opt-out actif) au bas du formulaire Cerfa 13750*05, ou même en ligne lors d’un changement d’adresse à travers un site dédié. À noter, toutefois, que le droit d’opposition, conformément à l’esprit de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978, ne concerne que les personnes physiques. Toutefois, ce droit d’opposition peut être formulé, dans une certaine mesure, par une personne morale dont le nom fait référence à celui d’une personne physique[13].

S’agissant de la troisième finalité prévue à l’article L. 330‑5 du code de la route relative à la sécurisation des activités économiques qui nécessitent une utilisation de caractéristiques techniques des véhicules fiables, la mise à disposition des informations issues du SIV est effectuée sans communication des nom, prénom et adresse des personnes concernées.

Les dispositions réglementaires initialement prises[14] pour l’application de l’article L. 330‑5 du Code de la route posent également quelques limites, comme par exemple la délivrance d’une licence de réutilisation pour une durée maximale de cinq ans (art. R. 330-9 du Code de la route) — le caractère renouvelable prévu au second alinéa de l’article R. 330‑9 ne s’oppose d’ailleurs pas à la fixation d’une durée maximale, laquelle permet ainsi à l’administration de procéder à de nouvelles enquêtes administratives lors d’une demande de renouvellement de licence. Les dispositions réglementaires précisent également certaines mentions obligatoires, comme par exemple le fait que «les licences commerciales prévoient que leurs titulaires avisent ou font aviser les personnes faisant l’objet d’enquêtes ou de prospections du droit d’opposition mentionné au II de l’article R. 330‑11».

Le cadre juridique de la réutilisation des données du SIV offre ainsi des garanties particulièrement solides en vue d’une protection efficace des données personnelles, tout en permettant à de nombreux acteurs de tirer profit de la richesse des données brutes de ce fichier.

Cependant, à la source de la norme juridique et à l’instar de tout dispositif de réutilisation de même type, la mise à disposition de données issues du SIV, y compris personnelles, en contrepartie d’une redevance, peut poser des questions éthiques. Au-delà des nombreuses variantes théoriques et appliquées faisant débat autour de la notion, la question s’est posée plusieurs fois au sein de la représentation nationale. Sous l’effet d’une presse parfois peu précise, confondant les notions juridiques de «vente» et de «mise à disposition en contrepartie d’une redevance», à plusieurs reprises, le dispositif, en particulier pour sa finalité commerciale, a fait l’objet de tentatives de suppression par amendements parlementaires. Cela a par exemple été le cas lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015. La retranscription des débats qui se sont tenus lors de la séance du 25 novembre 2014 montre la préoccupation de plusieurs sénateurs sur ce sujet : «nous estimons que la vente de fichiers ou d’informations de fichiers dont l’État a la charge ne figure pas dans ses missions». Un amendement[15] présenté prévoyait ainsi de supprimer les dispositions relatives à la mise à disposition des données issues du SIV pour une finalité commerciale, sous prétexte que «cette dernière pratique est choquante». Des propos additionnels tendirent également à démontrer qu’il y avait un lien inversement proportionnel entre montant des recettes perçues par l’État à travers ce dispositif et démocratie : «Certes, la suppression de cet article occasionnera, pour l’État, la perte des revenus qu’il tire de la vente de ces données. Mais nous pensons que ces quelques millions d’euros perdus pour l’État seront un gain pour la démocratie»; si cette démonstration paraît discutable et nonobstant l’adoption de cet amendement par le Sénat, la disposition n’a pas prospéré après une nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale[16], où les garanties juridiques relatives à la protection des données personnelles et au droit d’opposition l’ont emporté sur les passions.

Enfin, la fiabilité des données du SIV représente un enjeu particulièrement important, non seulement pour l’État, mais également pour les réutilisateurs. En effet, s’agissant d’un fichier tel que le SIV, faisant l’objet d’interconnexions multiples et de consultations autorisées par la loi pour de nombreux acteurs (forces de l’ordre, autorités administratives et judiciaires, États membres de l’Union européenne, prestataires agréés, etc.), la fiabilité des informations du fichier et leur actualisation continue apparaissent primordiales pour l’exercice de leurs différentes compétences. Se pose dès lors la question de l’architecture technique de ce système d’information et de sa robustesse, question qui, s’agissant du SIV lui-même, ne sera pas abordée ici. Toutefois, s’agissant plus précisément de la mise à disposition des données du fichier, celle-ci est techniquement gérée par l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) via une solution informatique dédiée, le système de mise à disposition des données (SMD)[17]. Ce système offre ainsi des garanties de sécurité supplémentaires en termes de protection des données et d’intégrité du fichier. Tout l’enjeu d’une telle interface est de pouvoir être techniquement adaptée à la volumétrie des demandes et des mises à disposition, lesquelles varient en fonction de l’offre et de la demande du marché de la donnée automobile. Par ailleurs, cette interface permet de répondre aux dispositions de l’article L. 321‑1 du CRPA qui prévoit que «lorsqu’elles sont mises à disposition sous forme électronique, ces informations le sont, si possible, dans un standard ouvert et aisément réutilisable, c’est-à-dire lisible par une machine».

B) Le dispositif présente toutefois des enjeux économiques et financiers importants

D’un point de vue économique, la mise à disposition des données issues du SIV a contribué à la diversification du marché de la donnée automobile où se rencontrent toutes sortes d’offres et de demandes. Mises à disposition au format brut, les données issues du SIV constituent dès lors une matière première que de multiples acteurs économiques vont se procurer afin de la retraiter pour la valoriser. On trouve par exemple des constructeurs automobiles qui souhaitent avoir une connaissance plus fine du marché automobile, des banques ou des assureurs pour fiabiliser leurs offres de contrats d’assurance auto, ou encore des entreprises de services du numérique (ESN) qui vont proposer des solutions ciblées à partir d’un travail de valorisation des données. La valorisation des données brutes et les prestations commerciales qui en découlent peuvent couvrir des domaines aussi larges qu’étroits. Une société peut par exemple proposer des études de marché sur l’ensemble du parc automobile, ou seulement sur un parc restreint de véhicules, comme celui par exemple des tracteurs enjambeurs, forts utiles en viticulture. Or comme le montant de la redevance est en partie calculé par rapport à la volumétrie des données mises à disposition, le coût varie en fonction de celui-ci. Le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) estimait au 1er janvier 2016 le parc automobile en circulation à 38652000 véhicules. Si l’on applique les tarifs de l’arrêté du 11 avril 2011 pour une finalité commerciale, un usage de vente de prestations à des tiers et pour la totalité des blocs de données disponibles, on obtient un coût d’entrée, pour le seul stock initial de ces données brutes, de 3414800 euros. Cependant, le parc des véhicules a une vie propre : il y a des entrées, telles que des immatriculations de véhicules neufs; il y a des sorties, telles que des destructions de véhicules; et au cours de sa vie, le véhicule peut subir des changements, comme des modifications de ses caractéristiques techniques ou, s’agissant de son propriétaire, des changements d’adresse. Il apparaît dès lors intéressant pour un réutilisateur de données automobiles de pouvoir bénéficier de mises à jour aussi fréquentes et actualisées que possible afin de les valoriser au mieux et faire la différence sur le marché. Ces mises à jour constituent cependant autant de nouvelles lignes de données dont la mise à disposition reste payante. À cela, il convient de rajouter 25000 euros par an de frais techniques si l’on souhaite des mises à jour quotidiennes. Ces calculs simples permettent ainsi d’entrevoir qu’une réutilisation des données du SIV peut avoir un coût important pour les réutilisateurs, non seulement en entrée, hors coûts éventuels d’investissement en infrastructures techniques, mais également pendant toute la durée de la réutilisation. Cela peut contraindre de jeunes entreprises innovantes aux moyens modestes à se détourner de ce marché; les nouveaux entrants ne pourront quant à eux effectuer des réutilisations plus ou moins ambitieuses qu’en fonction des moyens qu’ils pourront mobiliser.

Dès lors, la question du niveau de la redevance peut être posée. D’aucuns suggèrent que les barèmes soient revus à la baisse – ils l’ont pourtant déjà été par arrêté modificatif du 31 janvier 2014 – afin de permettre aux plus grands nombres de valoriser ces données. Toutefois, à certains égards, l’établissement d’une redevance peut aussi constituer un garde-fou contre un accroissement non maîtrisé de réutilisations à finalité commerciale de données personnelles. En effet, il n’est pas certain que les conditions dans lesquelles sont effectuées les réutilisations sur le marché puissent être suffisamment contrôlées par l’administration, notamment au regard des contraintes financières qui pèsent sur elle. L’enjeu de ces contrôles est d’autant plus important que, parmi les données issues du SIV figurent des données nominatives, pour lesquelles le décret du 22 juin 2010 relatif à la réutilisation des informations contenues dans le «système d’immatriculation des véhicules» pris en Conseil d’État prévoyait bien, dès le début, d’en limiter la rediffusion en cascade[18]. Dans tous les cas, la tarification actuelle n’a pas vocation à être figée dans le temps, puisque les dispositions de l’article L. 324‑3 du CRPA prévoient que leur «montant est révisé au moins tous les cinq ans».

D’aucuns auraient également pu s’interroger sur l’applicabilité des règles du droit de la concurrence pour le service donnant lieu au paiement de cette redevance; ce serait considérer que le service chargé du dispositif de mise à disposition des données du SIV se livre à une activité économique, ce qui n’apparaît pas être le cas au regard de la nature des missions qui lui sont dévolues en tant que service d’administration centrale. Toutefois, aux termes des dispositions de l’article L. 323‑2 du CRPA, les conditions de réutilisation des informations publiques fixées dans les licences[19] «ne peuvent avoir pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence».

Enfin, pour l’État, les enjeux sont également financiers. Il tire des redevances dues en contrepartie de la réutilisation des données issues du SIV des recettes qui s’élèvent, selon les années, à plusieurs millions d’euros et qui permettent d’abonder les programmes 216 «conduite et pilotage des politiques de l’intérieur» et 307 «administrations territoriales» de la mission «administration générale et territoriale de l’État».

 

Recettes liées aux redevances relatives à la mise à disposition des données issues du SIV, en millions d’euros :

 

2011

2012/2013

2013/2014

2014/2015

2015/2016

Programme 216

-

0,9

0,8

0,2

0,0002

Programme 307

-

2,9

2,6

-

0,0007

Total

3,1

3,8

3,4

0,2

0,0009

Sources : M. A. Trojette, Rapport au Premier ministre, juillet 2013 (pour le chiffre 2011); États récapitulatifs des crédits de fonds de concours et attributions de produits annexés aux projets de loi de finances pour 2014, 2015, 2016 et 2017 (pour les chiffres postérieurs à 2011)

 

Les chiffres extraits des annexes budgétaires ces dernières années montrent une tendance à la baisse. En l’absence de dispositions législatives ou réglementaires modifiant radicalement la grille tarifaire voire mettant fin à ce dispositif, cette évolution pourrait être expliquée par au moins deux facteurs, qu’ils soient indépendants ou combinés : décalage important entre la mise à disposition des données et la perception effective des redevances, ou diminution du volume des mises à disposition conjuguée à la baisse des tarifs pratiquée en 2014. Les montants extrêmement faibles tirés de l’état récapitulatif des crédits de fonds de concours et attributions de produits annexé au projet de loi de finances pour 2017 indiqueraient alors un effondrement total du marché de la donnée automobile. Cela semble assez peu probable à ce stade, notamment au regard de la multiplication, ces derniers mois, des offres en ligne réutilisant les données issues du SIV, témoignant ainsi d’un dynamisme certain de ce marché. Dès lors, la première hypothèse semble la plus probable.

Dans tous les cas, les dernières modifications législatives en matière de redevances dues en contrepartie de la mise à disposition d’informations publiques n’apparaissent pas nécessairement neutres par rapport à la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des données issues du SIV. S’agissant de l’existence même de la redevance, celle-ci ne semble pour le moment pas menacé. En effet, si la loi no 2015‑1779 du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public a consacré le principe de gratuité, celui-ci reste largement nuancé par les dispositions de la loi précitée, codifiées[20] à l’article L. 324‑1 du CRPA et aux termes desquelles «les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300‑2 peuvent établir une redevance de réutilisation lorsqu’elles sont tenues de couvrir par des recettes propres une part substantielle des coûts liés à l’accomplissement de leurs missions de service public». En revanche, aux termes de ce même article L. 324‑1 du CRPA, «le produit total du montant de cette redevance, évalué sur une période comptable appropriée, ne dépasse pas le montant total des coûts liés à la collecte, à la production, à la mise à la disposition du public ou à la diffusion de leurs informations publiques». Or, l’évaluation de ce montant par les services bénéficiaires des redevances peut poser des difficultés, ainsi qu’en témoigne l’absence de données relatives aux coûts de collecte, de production et de gestion de la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des données du SIV, pour l’année 2012, dans la fiche synthétique figurant dans le rapport rédigé par M. A. Trojette, magistrat à la Cour des comptes, et remis au Premier ministre en juillet 2013[21]. Seul y figure un coût de traitement et de mise à disposition de 0,7 million d’euros. Cette difficulté d’évaluation est d’autant plus problématique que les dispositions de l’article L. 324‑3 prévoient que le montant des redevances «est fixé selon des critères objectifs, transparents, vérifiables et non discriminatoires».

Conclusion

La réutilisation des données du SIV relève donc d’un dispositif tout à fait particulier pour lequel de nombreuses garanties juridiques en termes de protection des données personnelles existent. Contrairement à ce que l’on peut croire, ce dispositif se montre même à la hauteur des enjeux d’une société exigeant à la fois davantage de transparence et une protection renforcée des droits et libertés fondamentaux, puisque ne sont réutilisées que les données personnelles pour lesquelles il n’y a pas eu d’opposition de la personne concernée. En revanche, si la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des données issues du SIV ne paraît pas menacée à ce stade, l’actualisation de la grille permettant son établissement peut encore poser question.

Plus largement, cet exemple de réutilisation montre qu’au-delà d’un certain nombre de règles et de principes généraux, il existe des variantes pour lesquelles des dispositions spéciales ont été adoptées. À n’en pas douter, ces ensembles normatifs font partie d’une ossature juridique plus large et plus complexe, comprenant d’autres dispositifs ayant trait à l’importance croissante des nouvelles technologies qui bénéficient non seulement à l’administration, mais également aux citoyens. Il s’agit-là d’un véritable droit public du numérique dont les contours se dessinent progressivement.

 

Bibliographie

Caqué S., «Réflexions juridiques autour de l’articulation entre l’ouverture des données publiques et la protection des données personnelles», in D. Bourcier, P. De Filippi (dir.) Open data & big data – Nouveaux défis pour la vie privée, Mare & Martin, 2016.

Chignard S., Open data, FYP Éditions, 2012.

Commission d’Accès aux Documents Administratifs, Droit d’accès et réutilisation, La documentation Française, 2008.

Conseil d’État, Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public, La Documentation Française, 2002.

Centre d’études et de Recherches Internationales et Communautaires, Droit de réutilisation et exploitation commerciale des données publiques, La Documentation française, 2011.

Trojette M. A., Ouverture des données publiques, Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes?, Cahier n° 2, Paris : Premier ministre, 2013, pp. 13‑14.

 



[1] Les différentes catégories de véhicules sont listées, notamment, à l’article R. 311‑1 du code de la route. À titre d’exemple, un cycle, défini comme étant un «véhicule ayant au moins deux roues et propulsé exclusivement par l’énergie musculaire des personnes se trouvant sur ce véhicule, notamment à l’aide de pédales ou de manivelles» n’a pas besoin d’une autorisation administrative pour circuler sur les voies ouvertes à la circulation publique.

[2] Arrêté du 10 février 2009 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé «système d’immatriculation des véhicules» ayant pour objet la gestion des pièces administratives du droit de circuler des véhicules.

[3] Directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public.

[4] Il s’agit ici de l’intitulé des licences délivrées par le ministère de l’intérieur, les dispositions de l’article R. 330‑7 du code de la route précisant notamment que «la licence vaut agrément au sens de l’article L. 330‑5».

[5] Article 80 de la loi no 2011‑267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

[6] Ordonnance no 2005‑650 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques.

[7] Arrêté du 11 avril 2011 fixant le montant de la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des informations issues du système d’immatriculation des véhicules.

[8] Créé par l’article 1er du décret no 2011‑577 du 26 mai 2011 relatif à la réutilisation des informations publiques détenues par l’État et ses établissements publics administratifs.

[9] Il s’agit en réalité de la direction de la modernisation et de l’action territoriale (DMAT); toutefois, depuis un arrêté du 12 août 2013 portant organisation interne de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR), c’est cette dernière qui est compétente s’agissant du SIV et des redevances relatives à la mise à disposition des données de ce fichier.

[10] Décret no 2016‑308 du 17 mars 2016 relatif à la réutilisation des informations publiques et modifiant le code des relations entre le public et l’administration (dispositions réglementaires).

[11] [https://www.data.gouv.fr/fr/Redevances], consulté le 1er janvier 2017.

[12] Arrêté du 31 janvier 2014 modifiant l’arrêté du 11 avril 2011 fixant le montant de la redevance due en contrepartie de la mise à disposition des informations issues du système d’immatriculation des véhicules.

[13] Cf. développements sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne en la matière dans S. Caqué, «Réflexions juridiques autour de l’articulation entre l’ouverture des données publiques et la protection des données personnelles», in D. Bourcier, P. De Filippi (dir.), Open data & big data – Nouveaux défis pour la vie privée, Mare & Martin, 2016.

[14] Cf. décret no 2010‑682 du 22 juin 2010 relatif à la réutilisation des informations contenues dans le «système d’immatriculation des véhicules».

[15] Amendement no I-237.

[16] Amendement no 184 adopté le 11 décembre 2014.

[17] Selon informations données par l’ANTS sur son site [https://ants.gouv.fr/Les-solutions/SMD], consulté le 27/12/2016.

[18] Cf. dispositions actuelles du II de l’article R. 330‑10 du code de la route.

[19] Conformément aux dispositions de l’article L. 323‑1 du CRPA, l’établissement d’une licence «est obligatoire lorsque la réutilisation est soumise au paiement d’une redevance».

[20] Cf. ordonnance no 2016‑307 du 17 mars 2016 portant codification des dispositions relatives à la réutilisation des informations publiques dans le code des relations entre le public et l’administration.

[21] M. A. Trojette, Ouverture des données publiques, Les exceptions au principe de gratuité sont-elles toutes légitimes?, Cahier n° 2, Paris : Premier ministre, 2013, pp. 13‑14.