par Zo Arlène
RASAMOELINA, docteur en droit à
l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Conseiller d’État au Conseil d’État
de la Cour suprême de Madagascar
L’incapacité
de mobiliser les ressources fiscales internes, les réformes fiscales
incitatives souvent inadéquates et très inégalitaires, la difficulté de l’administration
à recouvrer les impôts dus, l’inefficacité de la politique adoptée pour
fiscaliser certains secteurs sont les principales origines de la faiblesse de
la fiscalité à Madagascar. Le taux de pression fiscale environne encore le 10 %
du PIB, un des plus bas enregistrés en Afrique[1]. Les
nombreuses réformes mises en place n’ont pas réussi à les résorber. La quête
d’une solution salutaire continue néanmoins d’animer et d’enflammer tous les
débats politiques. Jusqu’ici, ces débats n’ont abouti qu’à la confection d’une
politique fiscale complexe et inadéquate à la structure économique et sociale
du pays.
La
politique fiscale en vigueur ne cesse de creuser davantage le fossé qui sépare
l’État et le peuple, l’administration fiscale et les contribuables. Les mesures
fiscales édictées sont souvent incompréhensibles du grand nombre et par
conséquent dénoncées et décriées par eux. On assiste à une crise de légitimité
du système représentatif. Cette crise est surtout reflétée par le décrochage
des classes populaires par rapport à la politique institutionnelle[2]. De
surcroît, fortement dirigée par le système représentatif et le caractère
souverain de l’impôt, l’approche du problème en matière fiscale a toujours été
à échelle macro. La méfiance, voire la condescendance, devant les savoirs
citoyens en la matière a conduit le pouvoir public à écarter toutes
perspectives de participation ou encore délibération citoyenne. Pourtant, le
pays est déjà doté d’une institution capable d’offrir un espace de dialogue et
de participation, voire de délibération, des citoyens. Le fokonolona ou communauté est en effet un cadre idéal pour
l’institutionnalisation d’une démocratie participative.
L’étymologie du mot fokonolona ou fokon’olona
indique un groupement de personnes. Le terme a cependant fait l’objet de
nombreuses définitions doctrinales[3]. Il a
été surtout appréhendé de deux manières, territoriale et sociologique. La
définition territoriale est en corrélation avec l’idée de le classer comme
étant un démembrement de l’administration centrale[4]. Il est
en ce sens considéré comme une organisation municipale. D’autres définitions
lui donnent un contenu sociologique en indiquant que le fokonolona désigne un groupement uni par un lien de parenté qui sous-tend
à la notion de famille[5]. Si son
caractère institutionnel est confirmé par sa constitutionnalisation[6], le
problème de sa définition demeure à cause de ce caractère ambivalent rendant
dès lors difficile de cerner la question de ses véritables sens et essence.
En se basant sur cette institution et sur la
théorie de la participation citoyenne, le moment est venu de poser le problème
de la fiscalité autrement et d’une manière plus fondamentale. Il s’agit
d’appréhender les difficultés sous l’angle de l’interrelation entre les Malgaches
et l’impôt. C’est dans cette optique de socialisation de l’impôt que le concept
de contrat social fiscal sera au centre de notre étude. Il est en effet
pertinent et nécessaire d’aborder la question de la fiscalité dans sa dimension
sociale, et par déduction sous le prisme de légitimation. Cette approche
s’impose et se justifie dans la mesure où la faillite de la notion de « citoyen fiscal » est une réalité. Le consentement à l’impôt,
certes institutionnalisé à travers le principe de légalité, ne sous-tend plus
l’idée de légitimité[7]. Dans le
creuset de la démocratie représentative, la démocratie demeurait uniquement une
méthode institutionnelle et n’apportait aucune valeur intrinsèque. Seule
l’effectivité du principe de légalité importe et l’adhésion citoyenne est
laissée pour compte. La question est de savoir comment l’institution fokonolona ou communauté ou encore
assemblée peut établir ou rétablir un rapport organique, autre que l’option
offerte par la démocratie représentative, entre les citoyens et le pouvoir
politique décisionnaire.
L’analyse
de l’impôt dans sa dimension politique et sociale impose à l’étude de faire
nécessairement appel au principe démocratique, mais également à un
développement d’un nouveau concept institutionnel concret. L’enjeu principal
est de rendre effective l’adhésion de la population à la politique mise en
œuvre. En ce sens, il est question d’un renouvellement tant des dispositifs,
c’est-à-dire les substances de la matière, que les méthodes tendant à leur
confection et leur édiction. L’idée est dès lors de faire la notion de
participation comme l’idée maîtresse de ce renouveau démocratique et de
thématiser ainsi, dans une démarche dialogique et sur une structure
participative, la relation entre l’efficacité de la politique fiscale et la
légitimité fiscale.
Le processus de dialogue et de négociation est
complexe. En effet, mettre en œuvre un tel processus suppose la possibilité de
décrire les circulations, les trajectoires des techniques, des rhétoriques et
des savoir-faire y afférents. En outre, son efficacité et effectivité dépendent
de la force de la structure dans laquelle il est développé, en l’occurrence le fokonolona. Rappelons que ce dernier
est une institution érigée en espace de concertation-négociation entre les
composantes de l’État. Sa force réside en effet dans la responsabilité
solidaire et collective. Son esprit est basé sur l’idée que la communication à
sens unique, que ce soit dans un sens ascendant ou descendant n’est pas viable
et que seul peut fonctionner un système à double sens. Ce concept de fokonolona contient tous les principes
de vie propres aux Malgaches. Il constituait déjà la base de la société
malgache, même avant la monarchie, et il a continué à jalonner tous les régimes
qui se sont succédé, à savoir colonial et maintenant sous la république. Cette
constance est une preuve qu’il s’agit d’une institution qui cadre bien avec la
culture et l’esprit de la société malgache.
Force est toutefois de constater que malgré cette
constance, le fokonolona a toujours
été mis à l’écart de la politique du développement en général et de la
politique fiscale en particulier. Même promue au rang constitutionnel[8],
l’institution est réduite à un simple rouage de l’administration et s’apparente
davantage à un auxiliaire de la politique[9] masquant
une domination politique, sociale et économique. La difficulté est de théoriser
la participation et de réaliser un transfert de pouvoir en mettant en place des
débats publics dépassant le local. Deux exceptions ont tout de même existé. Il
s’agit du fokonolona traditionnel et
du fokonolona « ratsimandravien » de 1972-1975 où il était question de « maîtrise populaire du développement ».
Ces deux exceptions démontrent la faisabilité et
la possibilité d’institutionnaliser la participation citoyenne. Il s’agit des
expériences plutôt réussies de Madagascar en la matière. D’ailleurs, depuis les
années 70, on assiste à l’émergence de diverses expériences allant vers
cette institutionnalisation de la participation citoyenne. Cela résulte surtout
de l’apparition du nouveau paradigme de gouvernance qui fait écho à de nouveaux
impératifs de la politique publique tels que la redevabilité de l’action
publique, la transparence et la participation citoyenne. En ces termes et à
l’échelle internationale, la notion de participation démocratique va d’une
utilisation managériale de la participation accompagnant et justifiant le
désengagement des États à un vrai partage de pouvoir, pouvant aller jusqu’à des
formes de cogestion, voire à la création d’un quatrième pouvoir permettant à
des citoyens non élus de prendre des décisions engageant la politique publique[10]. Cette
dimension managériale résulte de l’inefficacité de l’action administrative
traditionnelle et par déduction de la nécessité de faire appel aux savoirs des
usagers. D’autres enjeux sont également mis en lumière dans cette perspective
de participation citoyenne, à savoir, l’enjeu social ou le vivre ensemble,
l’enjeu politique ou la légitimité, l’enjeu économique ou la promotion du
partenariat.
Malgré la multiplication des expériences, réussies
ou moins réussies, ainsi que la multiplication des dispositifs de démocratie
participative, le domaine de la fiscalité demeure encore loin de faire l’objet
de cet engouement. En effet, l’imperium
de l’impôt attribue, par nature, l’exclusivité du pouvoir fiscal au pouvoir
central. La vertu démocratique cède le pas sur le caractère souverain de
l’imposition. La démocratie, en matière fiscale est réduite à un ensemble
d’arrangements institutionnels tant au niveau national que territorial. Le
système représentatif propose uniquement au fokonolona
une modulation communicationnelle en instaurant un dialogue purement
consultatif entre les citoyens et les décideurs. Une telle limitation résulte
d’une appréhension envers une possible montée d’un contre-pouvoir. De surcroît,
la technicité de la fiscalité constitue un prétexte pour le pouvoir central de
cultiver le climat de méfiance vis-à-vis des autres structures
institutionnelles ou non institutionnelles. Pourtant, il est incontestable que
cet imperium de l’impôt l’oppose à la
notion de démocratie. La question est de savoir s’il serait possible de parler
de démocratie en matière fiscale.
Dans sa conception substantielle ou encore sur le
plan méthodologique politique, cette problématique nous renvoie au sens et à la
manière dont on appréhende la notion[11].
D’emblée, il convient d’affirmer que les deux conceptions se vérifient en
matière fiscale. Le caractère souverain de l’impôt ne va pas à l’encontre de
l’expression des citoyens[12]. Au
contraire, l’existence d’une société participative est le propre d’un régime
démocratique, et ce sans exception. Le fait est que certaines théories
politiques ne conviennent pas à la théorie participative et l’écartent de prime
abord de l’exercice du pouvoir[13]. La
démocratisation de l’impôt passe nécessairement par la démocratisation du
pouvoir. En ce sens, il importe de penser à l’extension du pouvoir du fokonolona. Ce dernier étant considéré
en pratique comme une institution administrative, devrait désormais être
considéré comme une institution politique. Il ne s’agit pas pour autant ni de
créer un quatrième pouvoir ni de faire disparaître l’État politique en le
confrontant à la notion de démocratie. Rappelons que la force du fokonolona c’est sa capacité de garantir
une réciprocité dans la prise de décision, mais également une
responsabilisation solidaire et collective de toutes les entités.
Concrètement, il s’agit d’atteindre un niveau le
plus élevé possible de l’acceptation de l’impôt. Marc Leroy parle de la théorie
de « la
frustration relative ». De
cette théorie, on anticipe en effet l’approche par la rationalité cognitive
appliquée entre le contexte concret et le sentiment de justice fiscale[14].
Cependant, le sentiment de justice fiscale ainsi que la rationalité cognitive
reposent et dépendent de la légitimité. En ce sens, un cercle vertueux est créé
et il a pour socle de fondement la méthode adoptée. Ce fondement méthodologique
renvoie au principe de participation. Pour la conceptualisation d’une telle
légitimité, soutenue par Marc Leroy, la transparence des finances publiques
dans le cadre du choix politique de la structure et du fonctionnement de la
fiscalité constitue une des conditions[15]. Cet
impératif suppose l’acceptation du principe de l’État interventionniste. Mais
dans le cadre d’une participation citoyenne effective, cet impératif certes
nécessaire, mais demeure insuffisant. La légitimité fiscale devrait dépasser
cette acceptation unilatérale, voire hiérarchique. En effet, si l’acceptation
de l’intervention de l’État est indispensable, le paradigme de la participation
suppose également l’initiative du fokonolona
dans un mouvement ascendant.
Le fokonolona
est ainsi associé durablement à la discussion du budget local, territorial et
éventuellement national pour les projets nationaux. En ce sens, il importe
d’une part de catégoriser les investissements : de proximité et
d’envergure nationale, et d’autre part de distinguer les dispositifs locaux et
transversaux. Dans cette démarche de concertation, mais aussi de délibération,
un cadre de référence est nécessaire mettant en lumière l’obligation
d’information, de débattre, d’élaborer et d’adopter les projets. La
démocratisation des choix budgétaires permet une priorisation des dépenses et
des recettes. L’homogénéité du fokonolona
permet, en ce sens, d’identifier les publics ciblés sans se soucier de la forme
de représentativité. Il reste à déterminer le lien avec les autorités. Outre la
priorisation des dépenses, la participation peut aussi s’inscrire dans une
perspective à long terme. En matière fiscale proprement dite, il est possible
pour le fokonolona de pérenniser une
contribution sans relation directe avec un projet. C’est dans cette perspective
de durée que la procédure permet une participation des citoyens ordinaires à la
discussion d’enjeux collectifs. De cette manière, le concept d’intérêt général,
de l’utilité collective ainsi que celui de la solidarité[16] trouvent
tout leur sens, quitte à être redéfinis. Certainement, le paradigme de la
participation en matière fiscale oblige à prendre du recul par rapport au pur
juridisme. Il conduit la réflexion à aller au-delà de la simple rhétorique ou
encore d’une simple valorisation symbolique.
La structure de l’institution du fokonolona permet la viabilité de tout
type de participation : l’information, la consultation, la concertation et
la codécision. En d’autres termes, il peut s’agir d’une assemblée, d’un conseil
de quartiers, des référendums, des budgets participatifs, du développement
communautaire, des commissions consultatives ou encore des jurys citoyens. Mais
la déclinaison la plus optimum et qui correspond à l’idée d’une véritable
participation est une assemblée ou une réunion publique à un fonctionnement non
délégatif et non hiérarchique[17]. De
cette manière, le paramètre électif ne s’impose pas. Le fokonolona est en effet un espace institutionnel d’inclusion. Tous
les habitants d’un quartier ou d’un village sont concernés et ont le droit de
s’impliquer dans un mouvement ascendant. Ce mouvement ascendant consiste à
identifier les priorités locales ainsi que les contributions requises pour leur
réalisation, mais également à établir un processus démocratique comme méthode
de régulation négociée le plus juste et légitime possible.
Mais en se cantonnant et en se focalisant dans ce
paradigme de participation, le fokonolona
serait un simple auxiliaire d’une administration fortement centralisée[18], comme
c’est le cas dans son état actuel. Le fokonolona
a besoin d’un pouvoir délibératif.
Le terme délibération peut
être compris de différentes manières. Il s’agit en effet d’un terme
relativement polysémique. Son sens varie d’un pays à l’autre. En France[19], par exemple, elle est comprise comme étant une décision[20]. L’idée de délibération est opposée à celle de
consultation. De ce fait, une entité qui dispose d’un pouvoir délibératif
signifie qu’elle possède un pouvoir de décision[21]. En Allemagne en revanche, le terme délibération est
utilisé dans le sens d’un simple conseil et renvoie nécessairement à une idée
de consultation[22]. Une telle différenciation sémantique a un impact sur la
compréhension et l’appréhension d’une démocratie délibérative. En langue
malgache, le sens donné au terme délibération se rapproche plus de la
conception française.
Une démocratie délibérative[23] suppose une démocratie décisionnelle. Les deux
expériences de fokonolona réussies,
en l’occurrence le fokonolona
traditionnel ou encore le fokonolona
« ratsimandravien » de 1972, avaient été
appelées à trancher sur une question précise à portée générale et/ou ponctuelle[24]. Concernant le fokonolona
traditionnel, l’institution disposait un panel d’attribution très vaste. Il
organisait l’unité sociale sur la base du groupement familial, le clan, la
tribu dont les membres, liés par des liens de parenté et organisés sur la base
des cultes d’ancêtres, étaient fortement unis[25]. Le fokonolona,
à ce titre, réuni autour de ce culte des ancêtres, assurait la sécurité du clan
et gérait les biens de la communauté. Pour le fokonolona « ratsimandravien », celui que le Colonel R. Ratsimandrava a défini et a
développé comme base de sa politique de gouvernance est doté des pouvoirs
d’organiser la sécurité publique, mais également les attributions de
développement[26].
Selon les termes du Révérend
Emmanuel D. Tehindrazanarivelo, un éminent Professeur en théologie à Madagascar :
« Le
concept et la gouvernance du Fokonolona ou la communauté est un projet d’homme
et de société qui visent tout d’abord la création d’un être fokonolona,
caractérisé par un épanouissement de sa personnalité autant individuelle que
corporative au sein d’un monde qu’il maîtrise et qui lui permet l’affirmation
de son identité et de son développement »[27].
La politique publique était basée sur le concept
selon lequel la connaissance du tsirairay
sy ny daholobe ou littéralement l’individu et la communauté, liés par le fihavanana[28] au sein
de leur communauté donnait une transparence qui permettait d’identifier plus
rapidement les problèmes qui vont faire partie de la sphère des causes communes
ou raharaha ikambanana et pour
lesquelles tout un chacun est sollicité pour la découverte des solutions ou ala-olana[29].
Ce concept n’a malheureusement pas eu le temps de
se développer. Considéré uniquement dans sa dimension idéologique, il a été
profondément modifié à la suite du changement de pouvoir en 1975. Les régimes
qui ont succédé ont tout de même gardé l’institution. Néanmoins, elle n’existe
plus indépendamment, mais a été intégrée dans un autre cadre juridique et
administratif, le fokotany ou le
quartier. Dorénavant, ce dernier est l’assise du développement local. Il s’agit
d’une strate de plus dans la sphère administrative creusant davantage la
distance entre le pouvoir central et la population. De surcroît, le pouvoir
actuel envisage de retirer du fokonolona le pouvoir de désigner ou élire le filohampokotany ou le président de fokotany et de le confier au chef du
district, le représentant de l’État[30]. Les
sociétés civiles ont vivement réagi face à ce projet et dénoncent une tentative
de museler la dernière institution encore épargnée par la faillite de la représentativité
et qui est entre les mains des citoyens[31].
Pourtant, le concept fokonolona peut exister indépendamment de toute idéologie ou régime
politique. Sa participation ainsi que sa délibération sont des déclinaisons
naturelles d’un État démocratique.
Si on se réfère à d’autres systèmes et aux
développements doctrinaux, la notion de démocratie délibérative continue
d’occuper une place importante dans les sciences sociales et dans la théorie
politique. Depuis Tocqueville et la mise en place de la politique de jurys
populaire aux États-Unis basés sur le mécanisme de tirage au sort, en passant
par le système de top-down berlinois,
la littérature sociologique et politologique ne cesse de faire bouger la ligne
de la doxa de la représentativité et faire imposer le concept de participation.
En son état actuel, le processus participatif est encore limité dans des
domaines particuliers. L’identification de l’intérêt général est réservée aux
élus. En d’autres termes, la politique générale demeure une affaire électorale.
Il convient de noter que J. Habermas est l’un des théoriciens à avoir initié la
théorie délibérative[32]. Cette
dernière continue d’influencer la gestion de proximité et la démocratie
participative[33].
Si le concept gagne de plus en plus de terrain,
force est toutefois d’observer qu’il fait constamment l’objet d’adaptation
suivant la société concernée ainsi que le sens pratique ou sémantique qu’on
veuille lui accorder. Les procédures de délibération les plus connues sont, à
l’heure actuelle, surtout développées dans quelques domaines tels l’éducation,
l’environnement[34], la
sécurité publique et même la question budgétaire[35]. Pour
illustration, le concept de budget
participatif a été développé à Porto Alegre, au Brésil[36]. Le budget participatif[37] a transformé le processus budgétaire au Brésil. Il a
introduit de nouveaux types d’institutions en l’occurrence les assemblées
locales et thématiques, le Conseil du budget participatif, le processus de
décision concernant le règlement intérieur. Incontestablement, malgré les
problèmes pratiques rencontrés dans sa mise en application, le budget
participatif a d’importants effets démocratiques et redistributifs[38].
Mais d’une manière générale, la synthèse des
théories développées en la matière permet de retenir trois critères. La
démocratie délibérative est basée sur trois principes. Premièrement, le
principe d’argumentation qui suppose l’organisation des procédures permettant
de faire surgir les meilleurs arguments. Ce principe sous-tend en effet la
nécessité de trouver le meilleur argument et d’écarter une conception
exclusivement agrégative de la légitimité. Deuxièmement, le principe
d’inclusion qui tend à ce que la discussion soit ouverte au grand nombre et
implique tous ceux qui sont susceptibles d’être affectés par la décision. Et
enfin, le principe de publicité ou de transparence qui consiste à penser à la
publication de la délibération.
Si d’une manière générale, par rapport à
l’effectivité de la délibération, la démocratie participative rencontre des
problèmes tenants à la représentativité, statistique ou politique, l’assemblée
du fokonolona n’est pas indexée sur
cette idée de représentativité. En ce sens, il convient de constater que le
paradigme participatif proposé à travers cette institution est absolu. Il est
inclusif. La question de représentation se décline en réalité en porte-parole.
Le chef de quartier ou Filohampokotany,
en principe désigné par le fokonolona fait
office d’interlocuteur direct de l’administration. En revanche, cette fonction
ne lui donne pas le pouvoir de parler au nom de l’assemblée sans avoir été
mandaté par elle à la suite d’une réunion publique. Il doit ainsi rendre des
comptes, non aux représentants de l’État, mais au fokonolona. Ce mode de fonctionnement évite à l’institution de
devenir un lieu d’exclusion politique et d’en faire un espace d’intégration et
d’égalité entre les habitants. La caractéristique homogène du fokonolona met tout le monde sur le même
pied d’égalité et évite ainsi une asymétrie des positions sociales.
Se pose toutefois la question de la compétence
technique de l’assemblée, a fortiori
en matière fiscale, à définir un prélèvement ou une contribution et à délibérer
sur une dépense à engager pour une réalisation d’un projet collectif. Plusieurs
recherches ont permis d’aborder la question. Celle qui propose une solution à
l’image d’une échelle a acquis une renommée au sein de la doctrine. L’échelle
part de l’information pour atteindre le plus haut de la marche, l’autogestion[39].
Autogestion |
Cogestion |
Coproduction |
Aviser |
Consultation |
Information |
Néanmoins, rappelons que l’idée est de permettre
une participation horizontale, c’est-à-dire entre les citoyens, mais également
de réviser la participation verticale en vigueur, entre les citoyens et les
autorités publiques souvent caractérisée par le mouvement descendant. Ce
dernier peut se résumer par l’aporie selon laquelle l’autorité publique connaît
les demandes et que de ce fait elle dirige. L’objectif est ainsi de renverser
ce mouvement et de privilégier un mouvement ascendant. Le fokonolona, dans ce cadre, va redevenir le cœur de la société
politique. Dans cette configuration démocratique, le pouvoir fiscal ne revient
plus à la commune, mais appartient au fokonolona.
Un tel transfert ne pose d’ailleurs pas de problème conceptuel puisque l’idée
de la fiscalité locale a déjà acquis sa lettre de noblesse, du moins sur le
plan théorique. Les dépenses locales seront mieux maîtrisées grâce à une
identification précise et optimisée des besoins locaux, d’autant plus que les
ressources fiscales ou non fiscales. Le fokonolona
pourrait ainsi prendre une décision sur les dépenses engagées en raison de la
pression fiscale qu’elle souhaite accepter et subir.
Le souci d’efficacité et de légitimité tendrait à
confier au fokonolona les mesures
d’administration locale sur les biens et les membres de la communauté,
l’entretien et la construction des biens publics, la police et la sécurité de
la communauté, le règlement à l’amiable des litiges entre les membres de la
collectivité, l’assistance et l’entraide. L’État central demeure le
facilitateur, mais aussi l’exécuteur des grands projets nationaux ou locaux. En
ce sens, il faut avoir une optique relationnelle et réciproque[40].
Pour conclure, la participation ne se décrète pas,
mais la légitimité s’organise. La fiscalité est certes un domaine de
souveraineté, mais elle n’est qu’arbitraire si elle n’est pas légitime. La
souveraineté s’exerce en effet dans la légitimité. Le paradigme de gouvernance
inclut tous les domaines de l’État y compris la fiscalité. Le fokonolona constitue un cadre
démocratique par excellence pour la mise en place de cette démocratie
participative dans son sens le plus poussé. Il ne s’agit pas uniquement de
mettre en place un système de consultation, il s’agit surtout d’organiser le fokonolona en tant qu’institution
délibérante dans tous les domaines de la vie publique. C’est en exerçant que se
forment les intelligences individuelles et collectives.
[1] Source : Banque
mondiale, 2012. Les chiffres officieux démontrent que la tendance
actuelle n’est pas à la hausse.
[2] M-H. Bacqué
et Y. Sintomer, « Le temps long de la participation », La
démocratie participative, histoire et généalogie, M-H. Bacqué et Y. Sintomer (dir.), La Découverte, 2011, p. 19.
[3] Selon
G. Condominas, « Le mot (fokonolona), étymologiquement traduit une
communauté humaine […] qui englobe une communauté villageoise à la fois humaine
et spatiale, fondée sur la cohabitation. Cette solidarité géographique est
renforcée le plus souvent par des liens à l’échelle du village ». Fokonolona
et collectivités rurales en Imerina, Paris, Berger-Levrault, 1960, pp. 22
et s.
[4] M. Hauriou, Précis du droit administratif, Paris, Sirey, 1933, pp. 130 et
s.
[5] E. Andrianjafy et G. Feltz, « Étude des facteurs sociologiques pour un développement à long terme », Gouvernance
et politiques publiques pour un développement humain durable – Programme du PNUD, 2005, pp. 11 et
s.
[6] Le
préambule de la Constitution de la IVe République indique que le Fokonolona,
organisé en Fokontany, constitue un cadre de vie, d’émancipation, d’échange
et de concertation participative des citoyens. L’article 152 apporte des
précisions sur l’organisation de la société dont le fondement est le Fokonolona.
[7] Selon A. Barilari,
« L’acquiescement à l’impôt ne se résume pas à la recherche d’un pouvoir
légitime. Acquiescer à la nécessité de l’impôt n’est ni immédiat ni évident,
même dans un cadre démocratique. Cela suppose pour l’individu d’admettre qu’à
travers les mécanismes de la décision collective, le souverain, dont il fait
partie en tant que citoyen, a décidé le prélèvement, et comprendre que
l’utilisation de celui-ci relève également de la décision collective à laquelle
il doit participer… », « Le consentement à l’impôt, fragile, mais
indispensable aporie », Quelle fiscalité pour quels objectifs,
La Découverte, 2007, pp. 27-34.
[8] Aux termes de l’alinéa premier de l’article 152 de
la Constitution de la IVe République : « Le Fokonolona,
organisé en Fokontany au sein des
communes, est la base du développement et de la cohésion socioculturelle et
environnementale ».
[9] G. Rabemanantsoa,
Les compétences locales à Madagascar ou
le Fokonolona, institution locale, comme instrument de pouvoir, Th. Paris 13,
1990.
[10] M-H. Bacqué
et Y. Sintomer, op.cit., p. 12.
[11] M. Leroy, L’impôt l’État et la société, la sociologie fiscale de la démocratie
interventionniste, Economica, 2010, 374 p.
[12] Pour illustration,
l’idée-force de la Déclaration des droits de l’Homme et des citoyens du 29 août
1789 est consacrée par la description des libertés que l’Homme doit pouvoir
faire valoir à l’encontre de l’État. La Déclaration, résultant elle-même des
aspirations philosophiques tant de Rousseau, de Locke que de Montesquieu,
consiste à l’entérinement des revendications populaires de la Révolution
française (La Déclaration des droits de
l’Homme et des citoyens : une des sources fondamentales du droit
constitutionnel positif, Le Doc du juriste, 2010, 13 p.). V. aussi J. Chevallier, Éléments d’analyse politique, Paris, PUF, 1985.
[13] La
théorie absolutiste de l’État constitue une de ces théories en ce qu’elle
permet au pouvoir central de s’affranchir des contre-pouvoirs. Il en est de
même du régime de la monarchie absolue et du totalitarisme.
[14] M. Leroy,
La sociologie fiscale », Socio-logos, 2009.
[15] Ibid.
[16] Les
trois concepts présentent des similitudes et sont voisins, mais ils sont bien
distincts dans leurs applications juridiques et fiscales.
[17] M-H Bacqué et
Y. Sintomer, op.cit.
[18] M. Hauriou, Précis du droit administratif, op.cit.
[19] Notons
néanmoins l’analyse de M. Hauriou sur la notion de délibération et la
théorie de l’État. L’institutionnaliste a effectivement analysé attentivement le
concept de délibération, mais ce n’était pas pour la mettre au fondement de l’État.
Pour lui, la délibération est un rouage central du système juridique institué,
mais elle ne peut en constituer la base. De fait, le droit en jeu dans la
délibération ne repose pas directement sur la liberté individuelle. Une telle
conception reflète assez la réalité de la politique publique de la France en particulier,
mais également des États unitaires en général. (Cité par Th. Boccon-Gibod, « Aux sources du droit public : la délibération
et la théorie de l’État chez Maurice Hauriou », Colloque délibératif « le
tournant délibératif », Paris,
EHESS, 2011.
[20] L. Blondiaux, « La délibération, norme de l’action publique
contemporaine », Ceras-Revue Projet, 2001.
[21]B. Manin,
« Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de la délibération
politique », Le Débat, 33, janvier, p. 72-94 (traduction anglaise “On
legitimacy and political deliberation”, Political
Theory, vol. 15, 3 Aug. 1987, pp. 338-368.
[22] J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Fayad, Paris (Édition
allemande, 1981).
[23] La
théorie délibérative de J. Habermas consistait à l’idée que les décisions
collectives doivent être arrêtées après une évaluation des avantages et des
inconvénients de telle ou telle proposition et ne doivent en aucune manière
résulter d’une simple agrégation de votes ou de par le jeu du rapport de force
entre intérêts contradictoires. (J. Habermas, ibid.).
[24] S. Rabotovao, Le fokonolona malgache, au cœur des jeux et enjeux politiques à
Madagascar. Approche anthropologique, Th. Université Maputo, 2011.
[25] F. Raison-Jourde et G. Roy, Paysans,
intellectuels et populisme à Madagascar : de Monja Jaona à Ratsimandrava
(1960-1975), Karthala, 2010, p. 335.
[26] E. Dj. Tehindrazanarivelo,
« Fokonolona et développement à travers l’histoire »,
http://www.ratsimandrava-richard.com/lahasoratra-sy-boky/11-fokonolona-et-developpement-a-travers-l-histoire.
[27] Idem.
[28] Ce terme est difficile à traduire. Désignant en
premier abord le lien du sang qui uni des personnes ou mpihavana, il possède une signification bien plus profonde, voire
mythique. Mais d’une manière générale, il s’apparente plus à l’entraide et à la
solidarité.
[29] Colonel Ratsimandrava,
« Ny
fokonolona », Discours tenu à Ambohimahasoa, 1973-1975, pp. 45-51.
[30] Y. Andriamanga, « La désignation du chef fokontany par le chef de district révolte la société civile », Africatime.com,
2016.
[31] Ibid.
[32] J. Habermas,
Théorie de l’agir communicationnel,
op.cit.
[33] J. Habermas,
« Trois modèles normatifs de démocratie », L’intégration
républicaine, Fayard, Paris, 1998 ; L’Espace public. Archéologie de la publicité
comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, Paris, 1993 ; L’intégration
républicaine. Essais de théorie politique, Fayard, Paris, 1998.
[34] Agenda 21 local issu de la Conférence de Rio
en 1992.
[35] Depuis les années 1960, la revendication de
la Liga Interbairros Reivindicatoria e
Acescoradora ou Ligue inter-quartiers, une confédération d’associations à
la mise en place d’une participation humaniste a conduit en 1986 à la
participation des associations aux délibérations sur les questions budgétaires
au niveau local.
[36] 103 municipalités brésiliennes pratiquent une
forme ou une autre de budget participatif.
[37] K. Wyss,
« Le budget participatif : outil de démocratie
participative », Urbanews, Direction du développement et de la
coopération, n° 7, 2003.
[38] L. Avritzer,
« Nouvelles sphères publiques au Brésil :
démocratie locale et délibération politique », Gestion de proximité et démocratie
participative : une perspective comparative, op. cit., pp. 231-249.
[39] H. Swinnen,
op.cit.
[40] Étude menée par J. W. Duyvendak, 2002, cité par H. Swinnen,
« La démocratie participative dans le processus
politique local », in Gestion de proximité et démocratie participative, M-H. Bacqué, H. REY et Y. Sintomer
(dir.), La Découverte, 2005, p. 183.